Causerie d’Ange PIERAZZI sur Giuseppe Maria MASSERIA
- Par jeanpierrepoli
- 7 septembre, 2016
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Giuseppe Maria MASSERIA
Par Ange PIERAZZI
Le 18 Février 2016 à l’Accademia Corsa
Il est un personnage dont un boulevard d’Ajaccio porte le nom depuis1872 et auquel la cité a même envisagé en 1890 de lui ériger une statue.
Si aujourd’hui un sondage était réalisé auprès des habitants de la cité impériale il est fort à parier que plus de 90% d’entre eux seraient dans l’incapacité de dire qui a été ce personnage et qu’elle a été son action.
Il se nomme Giuseppe Maria MASSERIA et, si l’opération qu’il entreprit avait réussi elle aurait peut-être changé le cours des choses et orienter le destin de Pascal PAOLI de façon différente.
MASSERIA, né à Ajaccio en 1715, était un enfant du borgo (hors les murs de la cité génoise). Fils du nobile Gio Bartolomeo, il avait épousé une FOLACCI originaire d’Eccica Suarella (village situé à une vingtaine de kilomètres d’Ajaccio). Par ce mariage il devenait ainsi le beau-frère d’Annibale FOLACCI et cousin par alliance de Santo FOLACCI fidèle lieutenant de PAOLI dans le Delà -des-Monts avec le titre de Commissaire général des armées.
Agé de 48 ans en 1763 au moment du fait que nous allons relater, il est père de cinq enfants et exerçait la profession d’avocat et de notaire à Ajaccio.
Son mariage avec la cousine germaine de Santo FOLACCI, ainsi que des griefs personnels contre le commissaire génois de la cité qui a refusé de l’inscrire dans le premier ordre des citoyens, le poussait vers le parti national.
Avant de revenir sur le fait d’arme qui nous occupe, un retour vers les années précédentes concernant la situation d’Ajaccio nous paraît nécessaire afin de mieux comprendre la suite des évènements.
Ni la période d’enlisement du conflit dans le Deça-des-Monts après la disgrâce et le départ de Monsieur de Cursay, non plus que le sursaut des patriotes de Castagniccia qui intronisent au couvent de Casabianca Pascal PAOLI comme Général des Corses en 1755, ne constituent des moments marquants dans l’histoire d’Ajaccio.
L’écho de ce qui se passe dans le Nord y est faiblement enregistré et la ville comme un bateau ivre ne sent pas encore dans quel sens souffle le vent.
Les Français continuent à occuper le Préside tout en entretenant d’assez bons rapports avec le général des insurgés. La ville y gagne un certain desserrement du blocus que veulent lui faire subir les patriotes.
Pascal PAOLI est encore occupé “a far l’unione“, combattant les MATRA et fortifiant ses positions à l’intérieur de l’île, d’autant plus que les génois, avec l’appui des Français, tiennent bon dans les présides. Il a du mal à organiser un système de gouvernement pour une Corse dont il veut faire un état.
Le Delà -des -Monts lui pose bien des problèmes et son autorité tarde à y être reconnue, en dépit des efforts de ses partisans, au rang desquels figure en bonne place Santu FOLACCI.
Le Magistrato, c’est à dire le gouvernement provincial du sud de la Corse, est tardivement mis en place et c’est seulement alors que peut être envisagée une action sur Ajaccio pour desserrer l’étreinte du blocus économique dont pâtit l’intérieur des terres.
Paoli sait bien que là est à court terme la faiblesse de son Etat : Peut-il se faire reconnaître et poursuivre son oeuvre s’il est dans l’incapacité de prendre position dans les villes ? Il n’en a pas les moyens et de fait il ne se hasarda jamais à entreprendre quelque action militaire contre Calvi, Bastia ou Bonifacio.
En 1753, au temps de GAFFORY, il est encore question comme en 1746 d’une attaque contre le Préside d’Ajaccio avec projet de surprendre la citadelle et de se saisir de la personne du Commissaire génois. On met en relation l’assassinat de GAFFORY avec le renoncement au projet.
Dans cette affaire a joué un rôle déterminant Giuseppe FERRI PISANI de Bocognano qui considérait que la mort de GAFFORY avait été une grande perte, “Se egli non moriva, Aiacciu era nostra “ disait-il.
L’opportunité locale éveillera pourtant un nouvel espoir en 1763 avec MASSERIA.
Sa tentative intervient au lendemain d’une nouvelle poussée de tension, entre borghigiani et cittadini, liée une fois de plus à la mise en question du caractère oligarchique du pouvoir local. Les habitants du Borgo (I païsani), c’est à dire hors les murs de la ville, sont des Corses en peine d’intégration dans une cité qui se méfie toujours d’eux et où le clivage avec les Génois correspond encore à une réalité.
Il est à noter qu’un certain nombre de familles patriciennes d’Ajaccio sont en train de prendre leurs distances avec la Sérénissime : Carlo Maria BUONAPARTE le père de NAPOLEON, les BACCIOCHI, les POZZO-DIBORGO etc…
C’est dans ce contexte que se déroule l’action de Giuseppe MASSERIA.
C’est autour de 1760 que lui vient l’idée de s’emparer par surprise de la citadelle d’Ajaccio (U castello) et d’y faire pénétrer le général PAOLI.
En 1762 il prend contact avec lui (leurs correspondances durera 6 mois) et lui demande de se tenir à proximité de la ville au moment où il interviendra. Mais retenu par des affaires plus importantes et en particulier par sa lutte contre Antonuccio puis Alesio Francesco MATRA, il n’avait pas donné suite au projet.
C’est en Septembre 1763 seulement que le général décide de revenir dans le Delà-des-Monts. Il mobilise une petite troupe à Corte et en Octobre il arrive dans le Vicolais, puis passe à Mezzana où il séjourne au couvent et enfin se rend à Alata aux portes d’Ajaccio. MASSERIA décide alors d’intervenir.
Le plan consistait à s’emparer par surprise du Castello, c’est à dire du donjon, gardé par six hommes et un caporal, et à s’y maintenir tandis que les troupes paolistes entreraient dans le Borgo, menaçant de l’épée quiconque tenterait de porter secours à la garnison qui ne dépassait pas cent cinquante hommes. En même temps un renfort serait introduit par mer dans la citadelle.
Un coup de canon devait être tiré du donjon pour signaler aux nationaux le succès de l’attaque surprise et MASSERIA avait pris soin de préciser que ceux-ci devaient attaquer à l’heure dite, même en l’absence de signal.
Les exécutants, dans un premier temps, devaient être au nombre de quatre : MASSERIA, son fils ainé ainsi que deux jeunes ecclésiastiques, le diacre Giuseppe POZZO-DI-BORGO et le sous diacre Lazzaro MORESCO. Mais d’autres ajacciens étaient dans la confidence : le notaire Annibale FOLACCI beau-frère de MASSERIA, le chanoine Ignazio CERVOTTI, Nicolo BACIOCCHI “ Magnifico Anziano “de la ville, l’abbé Paolo BENIELLI, Geronimo LEVIE ingénieur des fortifications d’Ajaccio, et Gian-Battista POZZO -DI-BORGO.
Bien que la majeure partie du peuple ajaccien : pécheurs, corailleurs, laboureurs étaient opposés à PAOLI, quelques citadins jugeant la partie perdue pour Gênes après l’échec de Furiani, avaient décidé de jouer la carte nationale en suivant de loin MASSERIA.
Le 17 Octobre 1763 à sept heures trente du matin, heure de la relève de la garde, les deux abbés sont au bas des remparts de la citadelle. MASSERIA demande à voir deux prisonniers sardes dont il est l’avocat.
Tandis que le gardien du donjon va chercher les sardes, l’avocat et son fils tuent la sentinelle, s’emparent des armes qui sont dans le corps de garde et font feu sur les soldats. Rejoints par les abbés, ils se précipitent dans le donjon et referment les portes. Ils délivrent les deux prisonniers, mais quand ils veulent donner le signal ils s’aperçoivent que le canon n’est pas chargé. MASSERIA s’acharne contre la porte de la poudrière.
L’alerte est malheureusement donnée. La troupe tire sur les créneaux du donjon et abat le fils de MASSERIA. Ce dernier finit par ouvrir la porte de la poudrière et menace de tout faire sauter si l’on n’accepte pas ses conditions. Mais le Commissaire SPINOLA refuse de négocier.
Les abbés et les deux sardes se rendent la vie sauve leur ayant été promise. MASSERIA est touché par une balle mais continue la lutte jusqu’à ce qu’il soit pris. Roué de coups et traîné en prison, il meurt quelques jours après dans le cachot où on l’a jeté.
Les secours prévus sous le commandement de BUTTAFOCO et SALICETTI, retardés en route, n’ont pas eu le temps d’intervenir.
Ajaccio n’a pas bronché et même le petit peuple du Borgo inquiet de voir affluer les “païsani “ aux portes de la ville, a serré les rangs autour des patriciens génois.
L’affaire MASSERIA se soldait donc par un lamentable échec. Un long silence couvrit l’événement avant qu’un processus tardif d’héroïsation ne vienne célébrer ce malheureux exploit, qui s’il avait réussi aurait peut-être changé le destin de Pasquale PAOLI et le devenir de la nation corse.
A noter que PAOLI prit en charge la veuve et les enfants de MASSERIA.
Au lendemain de l’échec de la tentative de MASSERIA la pression des paolistes sur Ajaccio ne s’est pas relâchée. Il est encore question de projets d’attaque de la ville en 1764, dont celui initié par Filippo MASSERIA fils cadet de l’infortuné héros à la veille du débarquement des troupes françaises en Août de la même année en application du second traité de Compiègne.
L’installation des Français à Ajaccio met définitivement un terme à toute tentative sérieuse de s’emparer de la ville par les armes.
SOURCES :
-“ Histoire d’Ajaccio “ sous la direction de Francis POMPONI
– “Le Mémorial des Corses “