A la découverte du GR 20 par Claude Felix BAGNOLI
- Par jeanpierrepoli
- 25 décembre, 2017
- Commentaires fermés sur A la découverte du GR 20 par Claude Felix BAGNOLI
A la découverte du GR 20
Ces deux lettres et ce chiffre, bien peu éloquents et même rébarbatifs, sont l’appellation d’un site remarquable, extraordinaire même, que nous allons parcourir ensemble.
Pour ma part, ce sera une première, virtuelle donc, puisque mon désir d’arpenter le GR 20, même partiellement, est resté à l’état velléité.
Imaginons néanmoins que, pour gagner la montagne, la haute montagne, nous nous sommes équipés quasiment en alpinistes, chaussures de marche, vêtements adaptés au chaud et au froid, à la pluie, voire à la neige, sac à dos d’une douzaine de kilos, bâtons de marche, boussole, altimètre, etc…et, pour les plus courageux, matériel de couchage à la belle étoile.
Au préalable, dès lors que le choix de cette randonnée est fait, renseignons-nous sur ce qui nous attend.
Car parcourir le GR 20 n’est ni une promenade, ni même une ballade, mais une très sérieuse randonnée, et même une grande randonnée.
Nous allons marcher sur l’un des 369 sentiers de grande randonnée répertoriés en France avec prolongements dans les pays avoisinants.
Tel le GR 5 qui commence, ou aboutit, aux Pays Bas et à la Méditerranée.
Le sentier de grande randonnée est un parcours pédestre sur un itinéraire balisé.
Le premier en France été créé en 1952, sur une distance de 28 km, entre Orléans et Beaugency.
Ensuite, indentifiables par deux traits horizontaux, l’un rouge, l’autre blanc, peints sur des rochers ou des arbres, de centaines de sentiers ont été aménagés, sur une distance cumulée de plusieurs milliers de kilomètres.
Notre GR 20 corse – vous vous doutez pourquoi le n°20 – a été créé entre 1967 et 1970.
Tout récemment, hier en quelque sorte.
Jusqu’alors, la montagne n’intéressait que quelques randonneurs, nommés excursionnistes, très aventureux et les bergers sur les sites de pâturage.
L’imagination créatrice du sentier n’est pas d’origine corse.
Si les Corses de ces montagnes en connaissaient chaque pierre, chaque source, ils ne cherchaient pas à les vendre, verbe à connotation péjorative que j’emploie à dessein, car prémonitoire du devenir de ce sentier si sa préservation de site naturel n’est plus l’objet d’une constante vigilance.
Aussi, à l’époque, le projet de sentier suscitait-il, au mieux, l’indifférence, au plus, la désapprobation.
Les bergers étaient contre, car ils craignaient les touristes – qu’ils nommaient mangeurs de tomates – qui dérangeaient les troupeaux,et ils redoutaient une invasion de touristes.
Mais en 1972 a été créé le PARC NATUREL REGIONAL CORSE par la volonté de son premier président, le sénateur François GIACOBBI .
Hasard de l’actualité, CORSE-MATIN de ce jour fait état d’une violente querelle à prpos de la nomination d’un responsable du PARC.
Il paraît que les nationalistes devront régler ce problème.
Avec le PARC, sont arrivés les premiers fonds nécessaires à la réalisation et à l’équipement du sentier.
Et, preuve de la naissance du sentier et de l’intérêt suscité, un premier guide lui a été dédié.
Il y a en a maintenant des dizaines.
Aujourd’hui, on ne recense plus d’opposants au sentier.
Et même, on décèle un grand appétit financier pour installer, outre les bergeries et refuges, des hôtels-restaurants, des points de vente de denrées alimentaires autres que du fromage et de la charcuterie.
En 1962, donc, un ingénieur des Eaux et Forêts, nommé Guy DEGOS, lance dans une entreprise à laquelle personne ne croyait alors, en imaginant un sentier quasisment sur la ligne faîtière de nos montagnes.
DEGOS a pressenti l’attrait de la constante proximité montagne et mer et inventé un itinéraire sur la ligne de partage des eaux qui est, comme vous le savez, une ligne imaginaire, dont, de chaque côté les eaux coulent en directions opposées.
Il donne mission à un Amiral en retraite, Michel FABRIKANT, d’étudier un parcours pour traverser la Corse, du Nord au Sud, par les principaux massifs de l’Ile.
La tâche est ardue car il faut créer ex nihilo, hormis quelques sentes au seul usage des bergers pour la transhumance.
Car le sentier à imaginer et à tracer s’emplacera dans une nature vierge et, contrairement à presque tous les sentiers des Alpes MARITIMES, par exemple, ne sera pas une voie d’accès entre deux vallées ou deux villages ni une grande voie de communication entre régions.
Je pense évidemment aux voies romaines qui, très souvent partiellement intactes, sont des voies royales pour les marcheurs de notre région.
Avant, maintenant, de mettre le pied sur le sentier, voyons ce que nous allons endurer et ce verbe n’est pas anodin.
Le sentier relie CALENZANA à CONCA, ou l’inverse, CALENZANA étant toutefois le point de départ le plus emprunté.
Nous allons marcher sur une distance de 170 km.
Bien qu’en montagne, la distance linéaire ne soit quasiment jamais prise en compte, sachons quand même qu’à un randonneur moyen, comme vous et moi, il faudra seize jours, à raison de sept heures de marche par jour.
Notre époque étant à l’aventure extrême, du type de celles que regardons dans les reportages télévisés sur les descentes à ski hors-piste, où les skieurs paraissent voler d’un somment à l’autre, l’excitation d’établir un record tenaille les sportifs de haut niveau .
En 2016, l’un de ces trailers a bouclé le parcours en 31 heures et 6 minutes.
Performance quasiment inhumaine, réalisée non pas en marchant mais en courant, avec l’assistance de toute une équipe de randonneurs, pour repérer le trajet, guider le recordman et le ravitailler.
Mais que ce soit en trailer ou en randonneur paisible, le dénivelé cumulé est de 11 000 m, du point le plus bas à 250 m – on peut se baigner dans le Golo -au point le plus haut à 2607 m, à la Pointe des Eboulis.
Maintenant que nous savons à quoi nous attendre, allons-y
Pas aujourd’hui, en décembre, mais l’été prochain entre juin et septembre.
Et nous ne serons pas seuls sur le GR 20: en 1967, à sa création, on comptait 20 marcheurs par an.
Désormais, ils sont entre 16 000 et 20 000 , les comptages étant aléatoires, car l’accès au sentier n’est pas réglementé.
Les statistiques émanent des gardiens de refuges, mais bon nombre de randonneurs les dédaignent, préférant dormir sous la tente ou sous les étoiles.
Pourquoi cet engouement pour notre GR 20 ?
Bien qu’il ne soit pas contemporain du GR 20, Guy de MAUPASSANT, amoureux de la Corse, à l’occasion d’un séjour, rapportait en ces termes son ressenti:
« Figurez-vous un monde en chaos, une tempête de montagnes, que séparent des ravins étroits où roulent des torrents; pas une plaine, mais d’immenses vagues de granit et de géantes ondulations de terres couvertes de maquis ou de hautes forêts couvertes de châtaignier… »
Facile de transposer cette description au GR 20.
D’un randonneur anonyme, adepte du GR 20, retenons cette appréciation :
« Ce n’est pas beau. C’est splendide, époustouflant, magique »,
ajoutant : » même les vaches sont magnifiques « , mais il ne connaissait probablement pas les vaches normandes.
Mais la contemplation ne s’offre pas spontanément.
Il faut la vouloir, la gagner.
Certes, la nature n’y est pas à l‘état brut puisque sentier il y a .
Le sentier doit aussi être vu sous son aspect de mise à disposition d’un environnement ludique.
Il a fallu tracer, creuser, dégager des rochers, empierrer, draguer le sentier.
Puis ,marquer les étapes, aménager des bergeries et construire des refuges, une quinzaine à ce jour.
Il a fallu et il faut, en préliminaire à chaque saison, refaire les caniveaux, dégager les arbres foudroyés, débroussailler, repeindre les balises.
Et aussi prévoir, ce qui constitue un programme pour 2018, entreprendre la réfection ou la reconstruction de l’intégralité des refuges.
Pour un cout de 1 000 000 € chacun, pour en batir et de 500.000 € pour les restaurer.
Ce, sous l’égide d’associations, telles LE CLUB ALPIN FRANÇAIS ou le TOURING CLUB, et de bénévoles.
Sous l’égide du COMITE NATIONAL DE SENTIERS DE GRANDES RANDONNEES.
Attardons nous un instant sur ces refuges sans lesquels le sentier ne pourrait être parcouru, en seize jours.
Nous touchons là à un des aspects économiques, qui n’est pas, loin, s’en faut, négligeable, à raison des 20 000 marcheurs par an.
Les refuges, qui devaient être des havres de repos bien gagné, sont l’objet de vives critiques, tant à l’encontre des bâtiments vétustes et inconfortables que de certains gardiens bien peu scrupuleux .
En 2012, dans un guide de notoriété, le PLANET LONELY, les doléances étaient sévères pour fustiger les refuges, aux mains d’une maffia locale.
Les dortoirs sont qualifiée de dégueulasses, ainsi que la nourriture, de surcroît, hors de prix.
Heureusement, les appréciations élogieuses contrebalancent.
Par exemple, le tarif des refuges qui serait moins prohibitif que ceux du Mont Blanc ; la nourriture sur place qui se paie à son juste prix si l’on se rappelle que les refuges sont livrés à dos d’homme ou de mulet ou d’hélicoptères, ce qui fort onéreux.
Certes, les randonneurs sont captifs du sentier qu’ils ne peuvent pas quitter momentanément, autrement qu’en gagnant le village le plus proche, à plusieurs heures de marche .
Mais les randonneurs encourent, eux aussi, des reproches, s’exonérant du respect des règlements des refuges, du respect de la protection de la nature.
Nombre d’entre eux sont aussi inciviques, méprisants, se rengorgeant de leur savoir-faire affiché d’alpiniste.
Il fallait, me semble t-il que je vous cite le mauvais côté de ce tourisme, de cette fréquentation avide de notre GR 20.
Sachez cependant que les responsables administratifs du sentier, les bénévoles, les maires des communes limitrophes ont aussi le souci de veiller à ce que le sentier ne devienne pas un parc d’attractions.
A mon sens, nous n’en sommes pas là.
Car les conditions géographiques et climatiques imposent le maintien de la vocation sportive de ce sentier.
Mais, vous voyez cependant poindre l’intérêt économique, pour employer un euphémisme.
Les agences de voyage se sont emparées de cette nouvelle destination.
Elles pour noms : COULEUR – CORSE, CORSE-RANDO, CORSICA AVENTURE,GITES-CORSICA , et même, TRIPADVISOR et autres OPODO ou EXPEDIA.
Sont ainsi proposées des randonnées all inclusive avec transfert d’AJACCIO, accueil, pour un une semaine ou une quinzaine, avec guide, matériel de montagne, organisation des nuitées et des repas.
Et même, si vous préférez marcher les mains dans les poches, un portage de votre sac à dos, de refuge en refuge, sans doute en faisant reprendre du service aux mulets.
Si, comme je vous le disais, le sentier n’est pas accessible au promeneur en baskets et tee-shirt, il n’est cependant pas réservé aux grimpeurs chevronnés.
Certes, l’habitude de la montagne est requise, le vertige est banni et l’entrainement préalable avant saison indispensable.
Il faut s’y prépare avec humilité, même si le sentier n’est pas un monstre .
En seize jours, tout, peut arriver, surtout le pire.
Car le climat – nous avons tous, depuis la route d’AJACCIO à CORTE et même de la plaine orientale – vu, au mois d’août des cimes enneigées. Le climat est facteur de grands risques.
A la chaleur quasi saharienne de certains mois d’été, peut succéder, en un laps de temps, le froid intense.
Un tiers seulement des randonneurs qui l’attaquent réussissent le parcours.
Il y a quelques années, quatre de mes copains, pourtant en bonne forme, s’y sont essayés.
Le premier a déclaré forfait avant même d’arriver au refuge, un autre a fait le tour du refuge puis est rentré chez lui, et les deux derniers ont quand même franchi deux étapes.
J’ai souvenir, car j’étais à CENTURI cet été là, que deux jeunes gens, d’une trentaine d’années, ont subi, un soir, en fin d’étape, un orage de pluie, de grêle et de neige.
La visibilité était devenue nulle et le sentier non repérable.
Epuisé, le garçon a alors décidé de s’arrêter en attendant l’amélioration du temps.
Il s’est recroquevillé dans une anfractuosité rocheuse.
Sa compagne, elle, a décidé de continuer malgré les conditions épouvantables.
Bien lui en a pris car elle a rapidement trouvé le refuge qui était beaucoup plus proche que tous deux le pensaient .
Malheureusement, le lendemain matin, quand les secours sont arrivés, ils n’ont découvert que le cadavre, gelé, du compagnon de larescapée.
Le village corse dont le garçon était originaire le pleure encore.
D’autres accidents, mortels aussi, sont survenus.
Le plus dramatique est celui du Cirque de la Solitude, le 10 juin 2015.
C’est la 11ème étape, très attendue, mais très redoutée, sur cet itinéraire inventé par Michel FABRIKANT pour franchir une grande barre rocheuse par une crête escarpée et aérienne qui s’étire de la PUNTA MINUTA à la PAGLIA D’ORBA.
Malgré les balisages et mains courantes, la plus grande vigilance est requise.
En traversant ce site rocheux, le groupe de randonneurs a été surpris par un orage.
Les pluies ont drainé la partie supérieure du Cirque, ce qui a provoqué un gigantesque glissement de terrain.
Plusieurs randonneurs ont été ensevelis.
On a d’abord dénombré quatre morts, et des blessés, puis, plusieurs, mois après, les secouristes ont retrouvé trois dépouilles encore.
A ma connaissance, aucune responsabilité n’a été mise en jeu.
C’est la nature seule qui avait parlé.
Depuis, le passage est fermé, mais, dit-on, bien des randonneurs s’affranchissent de l’interdiction préfectorale et l’empruntent.
Aussi, cette nature sauvage, aride, coupée du monde, doit cependant, pour le bonheur de ceux qui veulent y pénétrer, être aménagée, sans bien sûr, atteindre le risque zéro.
Car, pour terminer, et vous donner l’ampleur de l’originalité et de la beauté de ce sentier, je vous engage vivement à consulter les rubriques des sites Internet Vous y verrez des photos de paysages d’une beauté indescriptible.
Par quelle magie ?
Par la rencontre de l’harmonie que nous connaissons bien de la mer et la montagne .
Dominer tout au long du parcours la Méditerranée, c’est l’une des récompenses de ce sentier.
Nous avons, dans les Alpes-Maritimes, bien des randonnées qui dominent la mer dès lors que l’on s’élève au altitude.
Mais, nous n’avons jamais cette Méditerranée d’un côté et de l’autre, à droite et à gauche, comme sur le GR 20, tracé sur le fil des sommets du centre de la Corse.
Voilà. J’espère que vos yeux se sont éblouis du massif de BONIFATU, de la majesté du MONTE CINTO, du col de VERGIO, du MONTE ROTONDO, des crêtes des PINZI CORBINI, du MONTE D’ORO, du MONTE RENOSO, des fantastiques aiguilles de BAVELLA, et des forêts de pins larici.
J’espère que vous vous êtes ébahis de la beauté du lac de CAPITELLO, le plus profond de la Corse et du lac de NINO, le plus grand, entouré de se pozzines, pelouses tourbeuses infiltrées par de petits ruisseaux et que vous avez vu galoper des chevaux sauvages.
Je ne peux clore cette conférence sans me rallier aux dithyrambiques éloges fusant non seulement des randonneurs français mais aussi de ceux qui viennent de très loin pour parcourir le GR 20 considéré comme le plus beau sentier du monde.
C’est peut être exagéré, mais ce sentier est classé dans les premières randonnées de notre planète.
C’est aussi le plus dur d’Europe.
Il est la référence des sentiers de grande randonnées.
Les adjectifs se succèdent : fantastique, époustouflant, magique, hostile et sauvage,
Il est question d’une star, d’une expérience initiatique.
Mais l’adjectif qui revient le plus souvent est celui de mythique.
Nous achèverons notre périple de ce jour par une très brève réflexion sur cet adjectif.
Des siècles, des millénaires même, sont nécessaires pour forger et entretenir les mythes grecs ou égyptiens qui nous sont familiers.
Le GR 20 a pris rang dans les mythes en une petite trentaine d’années.
Et pour nous consoler de n’avoir pas, dans cette randonnée virtuelle, respiré les parfums de myrthe, de bruyère, d’arbousiers et de cistes, approprions-nous le sentier en le débarrassant de sa trop administrative appellation de G R pour lui restituer son vrai nom FRA LI MONTI.
Claude-Félix BAGNOLI
21 décembre 2017