L’ACTUEL SYSTEME D’ECRITURE DE LA LANGUE CORSE

Antoine OTTAVI
Février 1996

Les traces de langue corse sont fréquentes et anciennes dans les textes de responsables locaux : que ces textes soient rédigés en latin tardif ou dans une langue en formation qui deviendra (mais n’est pas encore) la langue italienne : traces lexicales ou syntaxiques.

Si l’on veut parler précisément de langue corse, il convient de se référer à A sirinata di Scapinu insérée dans la Dionomachia que publia Salvatore Viale en 1817. Pour des raisons historiques et culturelles connues, Salvatore Viale écrivait en italien. A sirinata di Scapinu est écrite en langue corse. Pour les mêmes raisons historiques et culturelles, le système graphique adopté est celui de la langue italienne.

Dans l’entre-deux-guerres, le système se précise, en particulier par l’intervention de divers acteurs dont Paul Arrighi qui dirigeait la revue “ L’annu corsu ”, Petru Rocca qui dirigeait “ A muvra ”, Santu Casanova, directeur de “ A tramuntana ”, d’autres encore.

C’est le système adopté par Mathieu Ceccaldi dans son Anthologie de la littérature corse et dans son Dictionnaire corse de la pieve d’Evisa. Nous sommes toujours très proches du système italien, certains écrivains de l’époque étant souvent des italianistes, comme Paul Arrighi.

Le système corse se caractérise toutefois par la présence de groupes de consonnes originaux :

Chj _ chjamà : appeler, chjodu : clou (Prononciation : tyamà, tyodu) ;

Ghj _ ghjornu : jour, aghju : j’ai (Prononciation : dyornu, adyu) ;

Sgi _ sgiò : monsieur, casgiu : fromage (Prononciation : jo).

Soi dit en passant, le mot sgiò n’a rien de mystérieux, il vient tout bonnement du latin seniore(m) comme l’ancien français sieur (monsieur), le génois sciu, le lombard scior, le toscan et le romain sior ou sor, etc.

Jusqu’à ces dernières années, on avait tenté de simplifier l’écriture du corse en prônant un système plus proche de l’orthographe française. On écrivait donc : tiamà, tiodu, diornu, adiu, jo. Un temps pratiqué, en particulier dans la presse locale, cette écriture est abandonnée aujourd’hui, l’idée ayant prévalu qu’il valait mieux revenir aux origines historiques de l’écriture du corse.

En 1971, Pascal Marchetti et Dominique-Antoine Geronimi publient Intrecciate è cambiarine, ouvrage qui reprend le premier système en le modifiant dans un double souci de se différencier davantage de l’italien et de tenter d’éclaircir le problème délicat de la prononciation de certaines consonnes en corse.

Les Intrecciate sont les groupes chj et ghj. On propose de mêler, à la main ou à la machine à écrire, en les superposant. On obtient ainsi deux lettres nouvelles qui ne sont que des gribouillis. Cette tentative est abandonnée.

Les Cambiarine sont des consonnes qui peuvent, en corse, selon leur position, se prononcer de façon sourde ou sonore. Cela concerne les lettres C (qui peuvent passer à G), F (V), P (B en Corse du nord), QU (GU), S (Z), T (D en Corse du nord). A celles-ci s’ajoutent le B et le V qui peuvent passer à une sorte de W.

On sait en effet que l’on dit : un bancu (B), mais u bancu (W) ; in casa (K), mais a casa (G) ; in Francia (F), mais a Francia (V) ; un pane (P), mais u pane (B en corse du nord, ailleurs le P se maintient) ; in quantità (KW), mais a quantità (GW) ; in sangue (S), mais u sangue (Z) ou bien u sangu ; un tappu (T), (D dans la Corse du nord, ailleurs le T se maintient) ; un vinu (V dans le sud, B dans le centre et le nord), mais u vinu (W dans toute la Corse).

En bref, si la consonne est située après une autre consonne ou l’accent tonique, elle se maintient ; si elle est située après une voyelle, elle se sonorise. Ceci est dit brièvement, mais n’est pas simple pour autant pour une personne qui souhaite apprendre le corse de façon livresque et qui hésitera toujours. Autre exemple, on aura donc u casgiu (G), un casgiu (K) et cumprà casgiu (K).

Remarquons au passage que ce phénomène de la sonorisation d’une consonne à l’oral par rapport à l’écrit est rare en français, mais qu’on observe tout de même dans le mot « second « qui (c’est heureux) ne se prononce pas comme il s’écrit.

L’idée des inventeurs de ce dernier système est donc d’aider à la lecture en inscrivant un accent sur les mots, généralement des monosyllabiques, qui entraînent la prononciation sourde (K, F, etc.).

On aura donc : e = les ;  a = la

è =et  ; à = à

= il est ;   = il a

Exemples :

e casgiaghje (G) : les formes à fromage a famiglia (V) : la famille

pane è casgiu (K) : pain et fromage ;  à famiglie sane (F) : par familles entières

hè casgiu (K) : c’est du fromage  ; hà finitu (F) : il a fini

Le principe est donc d’écrire le mot toujours dans sa forme originelle étant entendu que sa prononciation variera comme il a été dit.

Il faut encore remarquer qu’au début d’un mot, le groupe Ghj, lorsqu’il est précédé de l’article u, a, e, i c’est-à-dire d’une voyelle, passe à la prononciation Y. On aura donc : un ghjornu (diornu) : un jour, mais u ghjornu (yornu) : le jour.

Les corsophones évoluent plus ou moins à leur aise dans cette affaire. Le “ pointu ” moyen a du mal. Il faut tout de même préciser qu’expliquées de façon moins succincte, ces difficultés se surmontent facilement et que les moyens actuels y aident considérablement (cassettes, laboratoire de langue, etc.).

Il reste que, pour les Corses eux-mêmes, ce système graphique surprend et sa lecture n’est pas spontanée étant donné son éloignement du système graphique français. C’est une de ses difficultés.

Il y en a d’autres. Celle-ci par exemple. Il est convenu qu’un mot s’écrit selon son étymologie. Un vinu se prononcera avec un V dans le sud, mais avec un B dans le nord et le centre. On l’écrira avec un V à cause de son étymologie. Soit. Ainsi, le mot musica se prononce avec un G, mais on l’écrit selon son étymologie. De même pour figura qui se prononcera (et s’écrit souvent) fiura dans le Nord. Mais tavula (italien : tavola) peut s’écrire avec un B sans que la prononciation change (latin : tabula).

On a aussi tola qui dérive du latin tabula, comme fola, du latin fabula. Il en est de même pour nivulu ou nibulu (nuage), pour cavallu ou caballu (latin : caballum). Ceci vient du fait que V et B se prononcent de la même façon lorsqu’ils sont entre des voyelles.

On remarquera ici que l’usage est resté dans certains cas proches de l’italien (tavola, cavallo) alors que ce n’était pas nécessaire et que l’on aurait pu se caler sur l’étymologie latine (tabula, caballum) sans que la prononciation en soit affectée. L’histoire en a décidé autrement.

Mon intention n’était pas de compliquer les choses. Je constate tout de même que j’y ai grandement réussi.

On trouve actuellement des textes écrits, selon leur époque, d’après trois systèmes, mais surtout selon le premier et le troisième. Les textes actuels sont écrits selon le dernier en date. Il est actuellement couramment employé à l’école, au lycée et à l’université. Quelques hésitations se manifestent encore, mais il en va de même pour l’orthographe française.

Il faut avoir connu l’expérience de devoir expliquer à des étrangers qu’un couvent et des poules qui couvent s’écrivent de la même façon. Et que répondre à des jeunes espagnols qui vous font remarquer que dans le mot « oiseaux » aucune des lettres ne se prononce ? N’oublions pas non plus l’orthographe et la prononciation anglaise.

Le système actuel permet à qui veut de lire et d’écrire en langue corse. Il rend compte de la prononciation et permet de respecter les variantes que l’on trouve dans les trois zones (en gros) de l’île : lingua suprana, lingua mizana, lingua suttana.

Le temps est passé où les querelles d’écriture empêchaient d’écrire.

Antoine OTTAVI

Février 1996.

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