ET LA CORSE DEVINT UNE ÎLE

Les îles de Corse et de Sardaigne : acquisition de leur insularité

La Corse et sa grande sœur la Sardaigne , n’ont pas toujours été des îles. Leur position actuelle (alignées Nord-Sud dans le golfe de Gênes ) est une acquisition récente ( à l’échelle géologique s’entend).

Ces deux îles doivent être actuellement considérées comme un  » micro-continent  » ; c’est à-dire un bloc de croûte lithosphérique continentale flottant sur l’asthénosphère sous-jacente. Un fragment de croûte qui se serait détaché de la marge continentale européenne et qui, suite à un mouvement de dérive anti-horaire aurait acquis sa position actuelle aux temps Miocène.

C’est là une vision moderne de l’histoire géologique de ce micro-continent. Une histoire qui n’a pu être comprise que dans le contexte plus large de l’évolution géodynamique récente de la Méditerranée occidentale et interprétée dans le cadre de la théorie de la Tectonique des Plaques. Un nouveau concept qui, formulé au cours des années 65-68, nous enseigne que la partie superficielle du globe est composée de  » Plaques lithosphériques » rigides pouvant se déplacer les unes par rapport aux autres.

Antérieurement aux années 60, et sur la base de différents arguments géologiques, les géologues soupçonnaient déjà l’existence, au large des côtes provençales, d’un vieux continent. Un continent dont on pensait qu’il avait disparu par effondrement, et dont les îles de Corse et de Sardaigne en étaient les seuls témoins.

En fait, de nouvelles méthodes d’investigation géophysique, développées à partir des années 60 ont révélé qu’il n’existait, sous les eaux de la Méditerranée occidentale, aucun indice d’un continent englouti ; mais que le plancher méditerranéen était composé de roches denses, de type basaltique.

Partant de là, il fallait donc reconsidérer l’histoire de cette partie de la Méditerranée occidentale en expliquant tout à la fois :

– L’étroite similitude des terrains rencontrés dans l’ensemble du domaine Provence – Corse – Sardaigne.

– L’existence, au moins jusqu’aux temps crétacés, d’une masse continentale émergée au Sud de la Provence ; celle-ci étant prouvée par la présence dans la région de Cassis de sédiments détritiques Turoniens d’origine méridionale.

– La nature basaltique du plancher marin.

– La position des deux îles qui, dans leur configuration actuelle, ne permet pas d’effectuer des raccords géologiques satisfaisants avec la Provence cristalline.

Dès 1968, le nouveau concept de la Tectonique des Plaques, permettant l’implication de mouvements latéraux relatifs entre les continents et, remettant ainsi au goût du jour les idées de Wegener, offrait une autre possibilité d’explication.

C’est cette hypothèse que les chercheurs du laboratoire de Pétrologie de l’Université de Marseille III- St . Jérôme (dont je faisais partie) ont testée avec succès, en collaboration avec d’autres spécialistes géophysiciens et concurremment à d’autres équipes travaillant sur le même sujet.

C’est ce modèle qui est ici présenté à grands traits. Admis, par la communauté scientifique, il a été, depuis les années 80, très largement enrichi et précisé par de nombreuses études, principalement géophysiques.( voir pour exemple les fig. n°(5a) et (5b) jointes.( Thèse doct. J.Gattaccecca-2001)

Mise en évidence de la dérive cénozoïque de la Corse et de la Sardaigne.

De nombreux critères ont permis de démontrer la réalité du phénomène de dérive.

1)- Les résultats paléomagnétiques obtenus :

-i) D’une part sur les laves permiennes de Corse (Scandula), de Sardaigne septentrionale et de Provence (Estérel) qui indiquent une rotation anti-horaire de 30° pour la première île et de 60 ° pour la Seconde par rapport à l’Europe stable.

ii)- D’autre part sur les laves calco – alcalines, cénozoïques, de Sardaigne qui révèlent l’existence de déclinaisons N-W d’environ 40°.

2)- La présence de directions structurales NW – SE dans le bassin Nord -Baléares et en Mer Ligure, révélées dès 1973 par des anomalies magnétiques et des données sismiques.

3)-L’existence en Sardaigne d’un très important volcanisme d’âge Cénozoïque. Volcanisme dont la signature calco-alcaline est symptomatique de l’affrontement entre deux plaques et donc dans le cas présent, une preuve supplémentaire en faveur du déplacement de l’ensemble corso-sarde à cette période.

En définitive, de nombreux arguments conduisent à admettre que les îles de Corse et de Sardaigne ont subi un déplacement vers le Sud-Est . Ce dernier aurait provoqué, dans le sillage du mouvement, l’ouverture du bassin marginal Nord – Baléares dont la nature du plancher est considéré par les géophysiciens, soit de type intermédiaire ,soit de type franchement océanique.

On est donc logiquement conduit à rechercher la position de la Corse et de la Sardaigne, antérieurement à l’ouverture du bassin Nord – Baléares, en emboîtant les domaines continentaux en présence.

Essai de reconstitution de la position primitive de la Corse et de la Sardaigne.

Relations cinétiques entre Corse et Sardaigne.

Les données géologiques s’accordent pour montrer qu’il y a une très bonne cohérence, on peut même parler de continuité entre les deux îles sur le plan géologique. On peu citer le parallélisme dans l’orientation des intrusions granitiques les plus récentes d’âge permo – carbonifère, tout comme celui du réseau de fractures tardi – hercynien NE – SW. ainsi que celui du champs filonien post-batholitique .Autant d’arguments qui amènent à conclure qu’au cours de la dérive cénozoïque le bloc corso-sarde s’est comporté de façon solidaire depuis les temps hercyniens.

Ceci est toutefois en contradiction avec les données paléomagnétiques qui indiquent des différences angulaires pouvant atteindre 30 °entre les deux îles. Ces divergences qui, bien que difficiles à expliquer, ne remettent pas en cause le phénomène de dérive.

La position originelle des deux îles. (Fig. 1 )

Deux contraintes majeures interviennent ici. Il s’agit d’une part des limites océan-continent ( matérialisées dans notre schéma par les isobaths -2000m) et d’autre part de la valeur angulaire moyenne des déclinaisons paléomagnétiques mesurées sur les laves tertiaires sardes. Ces deux impératifs conduisent au modèle de la figure n° 1 ci-jointe.. Modèle qu’il convient de confronter aux données géologiques.

Les formations anciennes ( anté – stéphaniennes) constituent des marqueurs linéaires tout à fait remarquables. Ils montrent dans le détail des corrélations géologiques extrêmement étroites entre le bloc corso-sarde d’une part et la Provence d’autre part. Pour ne prendre qu’un exemple on peut citer la ceinture métamorphique de pression intermédiaire qui, bien connue en Sardaigne, trouve son prolongement en Provence cristalline : âge, lithologie, agencement spatial des grands ensembles métamorphiques, caractères géochimiques des vulcanites basiques anciennes (amphibolites), zonéographie du métamorphisme.. etc…tout concorde pour confirmer la position originelle de la Corse et de la Sardaigne telle que nous l’avons proposée dans la figure (Fig. n°1) .

Les formations magmatiques permiennes apportent une confirmation supplémentaire au modèle. Celles qui affleurent dans le N-W de la Corse : Scandula- Fangu- Cintu et celles qui constituent le massif de l’Estérel en Provence se font face dans la position anté – dérive que nous avons proposée . Elles y dessinent un alignement E-W et présentent de réelles similitudes telle que l’existence de deux cycles volcaniques : calco – alcalin puis alcalin ; des complexes annulaires alcalins présentant un niveau d’érosion sensiblement identique…etc..

La confrontation des séries mésozoïques, principalement celles de Provence et de Sardaigne occidentale, même si elles ne permet pas de corrélations linéaires à la différence des marqueurs géologiques plus anciens, montre que ces régions appartiennent à un même domaine et qu’elles ont connu la même évolution jusqu’au Crétacé supérieur.

Age et modalités de la dérive cénozoïque des îles de Corse et de Sardaigne.

La réalité du déplacement de la Corse et de la Sardaigne étant établie, il fallait en préciser son âge et sa cinématique. Pour résoudre ces problèmes, la méthode consiste à dégager les relations temporelles qui existent entre le volcanisme calco – alcalin cénozoïque présent en Sardaigne et le déplacement de cette île. Dans ce but, l’ensemble des données paléomagnétiques obtenues sur les vulcanites tertiaires sardes ont été confrontées aux données géochronologiques acquises sur ces mêmes formations. C’est cette démarche qui a conduit à proposer le modèle de déplacement de la Sardaigne – et corrélativement de la Corse – tel qu’il est illustré dans la fig. 2.

Il nous faut toutefois rappeler (Fig. 3) que c’est à partir de la fin du crétacé qu’une croûte océanique solidaire de la plaque africaine aurait commencé à s’enfoncer sous la marge européenne, entraînant, selon toute vraisemblance ,une zone de subduction, elle même génératrice du volcanisme calco -alcalin. Dans le schéma proposé, une autre des conséquences de la subduction est l’apparition de phénomènes distensifs conduisant dans un premier temps à un processus d’étirement et de rifting ( fig. 4) suivi par un début de processus d’océanisation donnant lieu à l’ouverture du bassin marginal Nord -Baléares et par voie de conséquence à la dérive du micro-continent corso-sarde.

Le volcanisme calco-alcalin sarde , dont on a vu qu’il est lié au processus de subduction cénozoïque a sans doute commencé à se manifester avant que la distension n’atteigne le stade de séparation du compartiment continental corso-sarde (Fig. 4). Le mouvement de dérive à donc probablement débuté peu après les premières phases volcaniques calco-alcalines c’est à dire après 29 Ma..

La confrontation des données paléomagnétiques et géochronologiques conduit à proposer un schéma en deux temps .( Fig. 2) Le mouvement de dérive aurait démarré par :

(1)– une translation du bloc corso-sarde vers le Sud-Est ; mouvement qui se serait poursuivi jusqu’à 17 Ma. environ, accompagné, bien sur, par l’éruption en surface des vulcanites calco-alcalines et auquel aurait succédé :

(2)– une rotation anti-horaire d’une trentaine de degrés qui elle, se serait produite entre 17 et 16, (voir 15) Ma.

En conclusion le lecteur doit retenir que l’histoire récente du bassin méditerranéen Nord-Occidental a été marquée par la dérive vers le Sud-Est de la Corse et de la Sardaigne. Le déplacement de ce fragment continental détaché de la marge européenne est une conséquence de l’ouverture du bassin océanique marginal Nord – Baléares.

Ce mouvement aurait débuté peu après les premières manifestations volcaniques calco -alcalines de Sardaigne ( c’est à dire après 29 Ma.) ; il aurait tout d’abord consisté en une translation qui se serait achevée vers 17 Ma. environ. A cette translation aurait succédé une rotation anti-horaire d’une trentaine de degrés entre 17 et 16 ou 15 Ma.

C’est la valeur des déclinaisons paléomagnétiques, les limites océans / continents, les marqueurs géologiques linéaires qui permettent de retrouver la position anté – dérive cénozoïque des deux îles par rapport à la bordure européenne. De plus, l’ensemble des corrélations géologiques amène à penser que le domaine Provence – Corse – Sardaigne est resté solidaire depuis les temps hercyniens antérieurement au phénomène de dérive.

Ce serait donc à partir de 15 M.a. au plus tard, que la Corse et la Sardaigne auraient atteint la position géographique que nous leur connaissons aujourd’hui.

L’histoire post-dérive des îles corso-sardes.

En définitive, c’est suite au stade de rifting, suivi du processus d’océanisation qui s’est déroulé au Miocène moyen, entre 21 et 15 Ma. que la Corse et la Sardaigne ont acquis leur statut insulaire.

Elle vont le reperdre moins de 10 Ma plus tard, au Messinien,( il y a quelques 6 Ma), suite à un assèchement de la mer Méditerranée, provoqué par un déplacement vers le Nord de la plaque  » Afrique « . Ce mouvement ayant eu pour effet de rompre la communication avec l’océan Atlantique, la mer Méditerranée devenue une mer fermée, va se trouvée asséchée , l’apport des fleuves étant insuffisant pour compenser l’évaporation. Ceci est attesté par le dépôt d’un très important volume de sel daté de cette période ; dépôt mis en évidence par des mesures géophysiques et retrouvé par sondage. Corse et Sardaigne ayant perdu leur barrière marine ont cessé d’être des îles et ont donc pu être  » revisitées à pieds secs  » par des êtres vivants en provenance du continent. Ceci sur une courte période, car l’ouverture du détroit de Gibraltar à la fin du Messinien, (1 Ma plus tard), a permis aux eaux marines océaniques de revenir et de re -remplir le bassin. Corse et Sardaigne retrouvent alors leur insularité perdue ; insularité qu’elles ne vont plus perdre jusqu’à nos jours . Et ceci malgré les régressions des temps quaternaires. En effet, les glaciations successives qui ont fortement marqué cette période ont, en stockant les eaux aux pôles, provoqué des régressions marines dont l’amplitude n’a pas dépassé au mieux – 150 m. . A noter toutefois, que cela a été suffisant pour provoquer l’émersion du plateau continental corso-sarde ; ce qui a eu pour effet :

i)- d’assécher le détroit de Bonifacio reliant ainsi les deux îles en une seule terre émergée.

ii)- Réduisant de façon significative le Canal de Corse.

Ce qui, facilitant les communications avec le continent ( principalement à hauteur de l’archipel toscan) a peut- être créé les conditions favorables à l’arrivée des premiers hommes sur l’île de Corse.….et leur déplacement  » à pieds secs  » vers la Sardaigne.

Pour l’Accademia Corsa – Janvier 2008

Jean – Baptiste ORSINI

Professeur émérite

Labo. de Pétrologie – Géochimie.

Université Jean MONNET – St. ETIENNE.

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