Du bonapartisme en général au bonapartisme ajaccien en particulier

Note préliminaire

Il serait vain et présomptueux de vouloir en quelques dizaines de minutes d’une causerie, retracer l’histoire du Bonapartisme.

Cette longue période de presque deux siècles est tellement riche en évènements, tellement remplie de personnages importants, a eu de telles répercussions sur la politique de la France, de la Corse, et d’Ajaccio en particulier, que plusieurs heures seraient nécessaires pour évoquer cette tranche d’histoire.

Nous nous sommes donc bornés à une esquisse rapide en essayant de mettre l’accent plus particulièrement sur le phénomène du culte napoléonien à Ajaccio, ville natale du grand homme qui domina l’Europe de son époque.

Pour les amoureux de l’Histoire, et plus particulièrement de l’histoire du Bonapartisme, nous leur fournissons une bibliographie d’où est tiré l’essentiel de cet exposé et à partir de laquelle ils pourront assouvir leur curiosité et approfondir ce passionnant sujet que nous n’avons que survolé de façon très rapide.

***

Ajaccio est la seule ville de France a avoir conservé un  » parti bonapartiste « . Un parti qui ne milite plus, depuis 1910, pour le rétablissement de l’Empire, mais qui affiche son désir de perpétuer la mémoire de l’illustre enfant d’Ajaccio  » L’enfant prodigue de la gloire  » et dans ce but, de diriger les affaires de la ville. Ses adversaires dénoncent  » l’archaïsme  » de cette structure et soutiennent que Napoléon appartient à tout le monde. En fait, l’objectif essentiel des uns et des autres est de contrôler la  » Maison carrée « , autrement dit la mairie.

Sous la IIIème République, la lutte opposait les républicains, dont deux seulement furent maires (Nicolas PERALDI et Jérôme PERI), aux bonapartistes.

Au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, excepté la parenthèse 1945-1947 avec l’élection du communiste Arthur GIOVONI, la totalité des maires furent bonapartistes.

Après 1975, le vieux parti dut concéder aux partis nationaux de droite un nombre déterminé de sièges au Conseil municipal, seule manière d’ailleurs de perdurer à sa tête, et pour les représentants des partis nationaux, de s’y faire nominalement une place.

L’exception ajaccienne.

Pourquoi la Corse et plus particulièrement Ajaccio, ont été un siècle et demi durant le dernier rempart du bonapartisme ? Afin de comprendre cette spécificité ajaccienne il est nécessaire de se pencher sur l’histoire de ce mouvement qui a joué un rôle si important dans la politique de la cité et par ricochet sur la politique insulaire tout court.

L’histoire du Bonapartisme se décline en trois périodes bien caractéristiques :

 » 1815-1870

 » 1871-1918

 » 1919-2001

De la fin du 1er empire (1815) à la chute du 2ème empire (1870)

A la lecture de ce qui va suivre, dans cet exposé, on pourrait penser que les habitants de la ville impériale ont constamment été de fidèles adorateurs de leur illustre citoyen…

Et bien, détrompons nous.

La ville d’Ajaccio, berceau de l’Empereur et gardienne vigilante du culte du grand homme n’a pas été loin s’en faut d’une fidélité absolue et continue au petit caporal qui contrairement à une idée reçue avait du temps de sa splendeur dispensé ses bienfaits sur sa ville natale :

Construction d’un hôpital militaire (1810), percement du cours Sainte Lucie (cours Napoléon actuel), et des cinq traverses reliant cette voie à la rue de l’Impératrice (rue Fesch actuelle) ; construction du quai (1809) ; pont sur la Gravona à Campo dell’Oro ; assèchement de l’étang des Salines ; début de construction de l’hôtel de Ville (1808) ; aménagement de la place du Diamant.

Le 17 mars 1808, Ajaccio devient l’une des 32 académies de l’Empire (supprimée par Louis XVIII en 1815 pour la rattacher à celle d’Aix en Provence).

Rétablissement du département unique le 24 Avril 1811 avec Ajaccio comme capitale de l’île reléguant Bastia au rang de chef lieu d’arrondissement.

A la signature du Concordat en 1801, Ajaccio devient l’unique évêché de la Corse.

Création de la bibliothèque municipale avec un fonds de 5000 volumes, et d’une imprimerie.

Création d’un jardin d’expériences botaniques (sur l’emplacement actuel du lycée Fesch) ; captage des eaux de la Punta amenant en ville par cinq fontaines d’eau limpide et pur le précieux liquide qui faisait terriblement défaut à la cité ; aménagement de la route des Sanguinaires ; construction d’une fabrique de briques et de poteries.

A Sainte Hélène, Napoléon déclarera à ses mémorialistes parlant de la Corse :  » Je voulais l’améliorer, la rendre heureuse, tout faire en un mot pour elle. Mais les revers sont venus, je n’ai pu effectuer les projets que j’avais formés. Si je n’ai pu exécuter ce que je projetais pour la Corse, j’ai du moins la satisfaction d’avoir fait quelque chose pour Ajaccio. « 

Est-ce pour autant que les habitants de la cité impériale seront reconnaissants après la fin du règne de l’Empereur ?

Napoléon a abdiqué le 14 avril 1814. La nouvelle ne parviendra en Corse que deux semaines plus tard.

Le maire d’Ajaccio, François LEVIE hisse le drapeau de Lys sur le clocher de la cathédrale. Le buste en marbre de l’Empereur qui se trouvait dans la salle du conseil municipal est livré par le maire à la foule et placé sur un brancard improvisé, solennellement porté sur le quai sous les huées de la population et jeté à la mer. Le buste ne fut jamais retrouvé.

Le soir de ce jour néfaste, la ville illuminé et dans un grand feu de bois allumé sur la place du Diamant, il fut fait des autodafés de toutes les images représentant  » l’usurpateur « .

Le 5 juillet 1814, le conseil municipal adopte une adresse à Louis XVIII se référant à son illustre frère Louis XVI :  » Notre ville d’Ajaccio, Sire, en arborant la bannière des Bourbons a fait la première, connaître à la Corse le grand évènement qui vous a rappelé au trône illustre de vos pères « .

 » Daignez nous permettre de renouveler aux pieds de votre trône auguste le serment de fidélité inviolable envers Votre Majesté, de faire entendre, Sire, ce cri d’amour, ce cri de ralliement des vrais français : Vive le Roi, Vive Louis XVIII « .

Les principales artères de la cité au nom des Bonaparte sont débaptisées (les noms d’origine seront restitués en Août 1832 sous la Monarchie de Juillet).

De retour de l’île d’Elbe, Napoléon est à Paris le 20 mars 1815. Le 21 Avril, le drapeau tricolore est arboré à Ajaccio et le conseil municipal, à l’image des autres conseils municipaux de l’île, chante maintenant les louanges à la gloire de l’Empereur.

Mais après Waterloo, et l’abdication de Napoléon le 2 Août 1815, Ajaccio reprend la cocarde blanche.

Disparition de l’empereur : 5 mai 1821

Après toutes ces déclarations et ces serments de fidélité on pourrait légitimement penser que dorénavant l’île et plus particulièrement Ajaccio est définitivement acquise à la royauté et aux Bourbons. Et bien il faut croire que non puisque six années après la chute de l’Empire, à l’occasion de la mort de Napoléon le 5 mai 1821 à Sainte Hélène, la réaction des Ajacciens si prompts à louanger le nouveau régime à de quoi surprendre.

Laissons la parole à Francisco-Ottaviano RENUCCI (1767-1842) contemporain des faits et écrivain renommé.

 » Alors arriva la nouvelle de l’affreuse et lamentable mort de Napoléon. La tristesse dans cette île fut universelle et la pitié dans Ajaccio on ne peut plus vive, intense et profonde.

Les habitants se vêtirent de deuil. Plus aucun chant, plus aucun bruit, plus d’animation pendant plusieurs jours. Les rues étaient désertes, les fenêtres des maisons restèrent closes, un morne silence régnait partout ; la ville présentait l’image d’une désolation générale.  »

Et RENUCCI d’ajouter :

 » Ce fut alors que le peuple, après s’être reporté au jour et à l’heure, se rappeler que le 5 mai 1821, entre 5h et 6h du soir, on avait vu un météore partir du fond du golfe, passer au dessus de la ville, la traverser tout entière et, laissant derrière lui une traînée lumineuse, alla s’évanouir au faubourg. On crut que Napoléon lui-même, avant d’abandonner le monde voulut donner le suprême adieu à sa ville natale.

Eternelle inconstance de l’être humain. Les exemples de tels revirements sont nombreux dans l’histoire de l’humanité et rien n’a changé sous le soleil. Mais, comme l’affirmait un célèbre homme politique de la IVème République :  » Ce ne sont pas les girouettes qui tournent… c’est le vent ! « 

Enfin fermons cette parenthèse qui n’est pas forcément à l’honneur de nos concitoyens de l’époque et revenons au cœur de notre sujet.

– 1815 : La défaite de Waterloo ramène les Bourbons sur le trône de France.

La Restauration ramène sur le devant de la scène politique ajaccienne, le fidèle ennemi de Napoléon, Charles-André Pozzo-Di-Borgo ainsi que les PERALDI, alors que les bonapartistes non ralliés font l’objet de la défiance des autorités.

Le Conseil municipal d’Ajaccio fait tout pour éviter à la ville d’être pénalisé pour avoir donné le jour à l’empereur déchu et en 1827 il n’hésite pas à présenter Ajaccio comme  » une ville éminemment française et royaliste qui la première en Corse, secoua je joug à jamais détestable « .

Il y a cependant une opposition, dirigé par les SEBASTIANI qui regroupe les bonapartistes et certains notables écartés de la scène politique par le suffrage censitaire.

Aux élections législatives de 1819, le général Horace SEBASTIANI est élu et il siège parmi les libéraux. Mais il est surveillé de près par le préfet, les fonctionnaires ne le reçoivent plus et il semble avoir perdu toute influence. Ecoeuré, il quitte la Corse.

En 1828, le nouveau préfet Gabriel de LANTIVY, ami des SEBASTIANI, fait élire Tiburce. Pozzo-Di-Borgo obtiendra sa disgrâce.

Les ajacciens sont-ils redevenus royalistes ?

La révolution de Juillet est connue à Ajaccio seulement le 5 Août 1830. A son arrivée le nouveau préfet, JOURDAN, s’exclame  » Vive Louis Philippe ! Vive Napoléon ! Vive la liberté ! « .

C’est aussi son programme : Rallier les bonapartistes et les républicains au  » roi des Français « .

Le corps électoral (300 électeurs) élit deux députés : Horace et Tiburce SEBASTIANI avec l’aval du préfet, et ce sont … des bonapartistes.

Les SEBASTIANI remplacent les POZZO-DI-BORGO sur le devant de la scène politique.

Le 1er Mai 1831 à Ajaccio, un groupe de jeunes gens a crié avec une étrange audace :  » Vive Napoléon le Grand, Vive Napoléon II, à bas Louis Philippe ! « .

En 1832, au Conseil municipal, les Bonapartistes attaquent. En Août, le maire, Ascagne CUNEO D’ORNANO, et neuf conseillers votent un crédit pour célébrer dignement la mémoire du roi de Rome dont on vient d’apprendre le décès. Ce vote est annulé par le préfet. Qu’importe ! Des services religieux sont célébrés dans toutes les églises. A la cathédrale, le jeune avocat Etienne CONTI prononce l’éloge du duc de REICHSTADT et la ville prend le deuil.

Le Conseil municipal est dissous par une ordonnance royale du 23 octobre 1832. Mais il y a encore des irréductibles.

En 1834, le maire d’Ajaccio BRACCINI demande  » la rentrée de la famille NAPOLEON en France « . Le Gouvernement néanmoins continue à multiplier les gestes de bonne volonté :

Rétablissement du nom des rues à la gloire des Bonaparte ; soutien du projet d’un monument à la gloire de Napoléon (mégalithe d’Algajola) ; nomination en 1834 comme gouverneur militaire de la Corse, du général baron LALLEMAND, fidèle compagnon de Napoléon.

La Monarchie de Juillet, voit en Corse plus que dans les autres régions de France, prendre corps la légende napoléonienne.

Ajaccio et surtout la maison Bonaparte deviennent  » la Mecque du monde européen « . Le journal LA FRANCE PITTORESQUE affirme en 1831 :  » Tous les soldats qui arrivent à Ajaccio vont y faire une sorte de pèlerinage militaire « . Parmi eux, les fils du roi : Le jeune Prince de JOINVILLE en 1831, le Duc d’ORLEANS en 1835.

Les visiteurs trouvent des accents lyriques pour raconter leur visite.

La ville d’Ajaccio va enfin ériger le premier monument à la gloire de l’Empereur. (Il s’agit d’un large bloc rectangulaire en granit placé au milieu de la place du Diamant et flanqué d’un piédestal portant un buste de l’Empereur).

En 1834 est crée à Bastia  » L’Insulaire Français », organe ouvertement bonapartiste aux ordres des SEBASTIANI, dont l’influence viendra à être contrecarrée quelques années plus tard par  » LE PROGRESSIF  » libéral et républicain.

Notons au passage que c’est sous la Restauration et la Monarchie de Juillet qu’une abondante production littéraire forgera à ces insulaires, aux yeux des continentaux comme des Corses eux-mêmes un destin mythique à la fois violent et glorieux, diabolique et irréel, sauvage et accueillant.

CHATEAUBRIAND, HUGO, MERIMEE, BALZAC, FLAUBERT, DUMAS, et tant d’autres moins connus, donnent sur un fonds d’histoire et de banditisme romancés de souvent étonnants ouvrages.

A l’occasion du retour des cendres de l’Empereur à Paris en Février 1840, le Conseil municipal demande une nouvelle fois la suppression de la loi d’exil qui ne sera votée qu’en 1848.

Le prince JERÔME-NAPOLEON, fils du roi JERÔME, frère de Napoléon, est le premier Bonaparte que l’on revoit en Corse depuis la loi d’exil. Accueilli avec solennité par les autorités civiles et militaires, il est porté en triomphe jusqu’à la maison de ses ancêtres. Dans son discours, il prononce les mots de :  » Vive l’Empereur, Vive la République ! « .

Dans le cortège qui parcourt la ville, on entend pour la première fois, mêlé aux accents de la Marseillaise un chant nouveau, l’Ajaccienne.

Ajaccio devient ou redevient Bonapartiste

Une élection complémentaire à l’Assemblée Constituante aboutit en mai 1848 à un résultat extraordinaire : Le prince LOUIS-NAPOLEON, qui n’est pas candidat, recueille à Ajaccio 2721 voix sur … 2721.

Le 10 décembre 1848, l’euphorie tourne au délire : La France choisit son président. A Ajaccio, 181 voix s’égarent sur les concurrents de LOUIS-NAPOLEON. L’annonce des résultats nationaux est accueillie avec enthousiasme :  » On s’accostait, on s’embrassait, toutes les fenêtres étaient pavoisées « . Une petite pièce de canon, installée sur la place du marché, a tonné toute la journée.

Un Te Dum célébré quelques jours plus tard, place du Diamant, réunit 10000 participants pleins de ferveur et d’espoir.

Lorsque le 2 décembre 1851, le Prince président dissout l’Assemblée et porte à 10 ans la durée du mandat présidentiel, le Conseil municipal applaudit à :  » Ce grand événement  » et ajoute  » Napoléon a sauvé la France le 18 Brumaire et il était réservé à un autre Napoléon de la sauver une deuxième fois le 2 Décembre « .

Les électeurs ajacciens approuvent ce que d’autres nommeront un coup d’état par 2506 oui contre 14 non.

Le maire et l’évêque prennent la tête d’une délégation d’une vingtaine de membres qui va à Paris féliciter le Prince.  » Au nom de la ville d’Ajaccio, berceau des Bonaparte « .

La même année, 1851, Ajaccio va recevoir les cendres de Madame Mère et du cardinal Fesch.

En novembre 1852, un plébiscite approuve le rétablissement de l’Empire.

Ajaccio se distingue avec 3204 oui et 4 non. Le rêve est devenu réalité. Les Ajacciens s’enflamment : Dans l’Empire rétabli, Ajaccio redevient  » la ville impériale « .

Le rétablissement de l’Empire ancre à jamais la légende napoléonienne dans l’histoire de la ville.

Visites impériales

Celles-ci marquent les moments les plus forts de cette politique de propagande. Promesses généreuses d’un démarrage économique tant attendu, faveurs distribuées, éclat sans précédent du culte de Napoléon provoquent l’enthousiasme de l’opinion publique et hissent Ajaccio au rang incontestable de  » ville impériale « .

C’est l’empereur lui-même qui inaugure la série des voyages officiels le 14 septembre 1860. Il déclare  » la Corse n’est pas un département comme les autres, c’est une famille, je suis venu pour étudier ses besoins et je suis heureux de les satisfaire. « 

Un observateur, Jean de la Rocca, témoigne :

 » Cette journée fera époque dans les annales de la Corse, elle augmentera si possible le culte napoléonien, gravé profondément dans le cœur du peuple. « 

Les articles des journaux, tout comme les rapports officiels, témoignent d’une adhésion réelle et spontanée de la population ajaccienne au régime. En 1865, le prince Jérôme Napoléon vient présider les quatre jours de fête pour l’inauguration sur la place du Diamant du monument représentant Napoléon entouré de ses quatre frères (l’encrier).

En 1869, c’est au tour de l’impératrice d’honorer avec le prince impérial le centenaire de la naissance de Napoléon 1er. Les démonstrations qui couronnent cet ultime voyage symbolisent l’apogée d’un culte officiel autant que populaire qui contribuera, alors que le régime bascule, à faire de la ville impériale le dernier bastion bonapartiste.

1870-1918 : La IIIe république et l’ombre de l’empereur

La nouvelle du désastre du 2 septembre 1870 éclate à Ajaccio comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. En ville, tout le monde est désemparé, tant est fort l’attachement à la dynastie impériale. Le conseil municipal fait preuve de discrétion et d’embarras et refuse de collaborer avec le nouveau gouvernement provisoire. Les conseillers sont destitués de leurs fonctions. Le 20 janvier 1871, le nouveau préfet, Gustave Naquet, est hué par la foule aux cris de  » Vive Napoléon III « . On le harcèle de jets de trognons de chou et on l’oblige à s’agenouiller devant la statue de Napoléon pour entendre chanter l’Ajaccienne.

Avec la proclamation de la IIIe République, c’est le retour au suffrage universel. Pendant treize années jusqu’au vote de la loi de bannissement, ce sera la lutte ouverte entre républicains et bonapartistes.

L’empereur disparu, où va le bonapartisme… et les bonapartistes ? Sont-ils au moins d’accord ? Loin s’en faut. Lorsqu’il s’est agit de recueillir l’héritage idéologique, la division s’est installée.

Les bonapartistes divisés

Au nom du prince impérial (17 ans en 1873) l’impératrice Eugénie soutient Rouher (ministre très influent de Napoléon III et surnommé  » l’empereur bis « ) qui représente le bonapartisme clérical et réactionnaire, proche en fait des orléanistes, et partisan de l’Empire héréditaire. Ce courant dit  » orthodoxe  » est à Ajaccio soutenu par la municipalité redevenue bonapartiste en 1873.

L’autre courant est celui des partisans de Jérôme-Napoléon (dit Plon-Plon) le démocrate qui prône un ancrage à gauche, peste contre le  » parti de l’ordre  » et contre Mac-Mahon au nom d’un bonapartisme populaire.

Les Jérômistes sont prêts à accepter la République et ont un langage proche de celui de Gambetta. La  » grande famille  » se déchire ; les Républicains triomphent. La page est elle tournée ?

Oui, sauf en Corse où se poursuivent encore pendant deux décennies les combats d’arrière garde. Bastia perdra le 13 juillet 1912, avec la mort d’Auguste Gaudin son dernier maire bonapartiste. Mais Ajaccio demeure et entend demeurer le  » dernier bastion  » ou le  » dernier rempart « . A l’assemblée de Bordeaux en février 1871, la Corse est représentée par cinq députés dont quatre bonapartistes (Etienne Conti, Denis Gavini, Séverin Abbatucci et Galloni d’Istria).

En août de la même année 1871, un évènement de portée nationale concerne Ajaccio : Séverin Abbatucci a démissionné de l’Assemblée pour laisser la place à Rouher, chef de file des bonapartistes, qui est candidat dans la circonscription. Il y est élu triomphalement. Le parti n’est pas mort et Ajaccio peut toujours espérer.

En 1879, à la mort en Afrique du Sud, à l’age de 23 ans du prince impérial, le prince Jérôme entend être le chef de la famille impériale. Le parti bonapartiste dit oui du bout des lèvres dans un premier temps, puis se tourne finalement vers le prince Victor, le propre fils de Jérôme. Cela aggrave les divisions du parti bonapartiste et plusieurs membres dévoués se retirent de la vie politique.

En 1886, la  » loi du bannissement  » votée par le parlement voit l’exil de Jérôme et de son fils Victor. En Corse, les ralliements à la république se sont succédés; sur le continent le parti bonapartiste n’est plus qu’une fraction du parti conservateur. Dans l’île, il va quasiment disparaître, sauf à Ajaccio. En 1881, les bonapartistes ajacciens fidèles au prince Victor enlèvent la mairie au républicain Nicolas Peraldi et la conserveront presque sans interruption au fils des années. Il faudra néanmoins l’an 1910 pour voir un bonapartiste redevenir député d’Ajaccio.

Le bonapartisme n’est plus désormais qu’un phénomène ajaccien. Il va entreprendre sa grande mutation. Le parti bonapartiste ajaccien reçoit l’héritage de vingt années de luttes menées par le parti bonapartiste insulaire.

Le journal  » Le Drapeau  » est fondé le 4 septembre 1889. Il se déclare solidaire du général Boulanger et vouloir marcher à l’assaut de la république. De nos jours, il paraît au cours des campagnes électorales et reste statutairement  » l’organe de combat du comité central

L’activité du parti bonapartiste ajaccien est fonction de deux éléments constitutifs de la vie politique : le changement (après vingt années de régime parlementaire, la masse a adhéré à la république) et la continuité (à Ajaccio le Bonapartisme est presque un état d’âme et relève de la tradition).

Le combat est mené grâce à l’exaltation de l’épopée napoléonienne, à la divinisation de Napoléon 1er devenu personnage mythique. Le 15 août, fête de la Saint Napoléon, le cérémonial est bien établi : messe à la cathédrale, apéritif au  » roi Jérôme « , violettes à la boutonnière et on chante  » Le rocher de Sainte-Hélène « .

L’exploitation systématique du culte de Napoléon auprès des couches populaires constitue à elle seule un programme électoral.

Mais qui sont les bonapartistes ?

On les trouve dans toutes les catégories de la société, mais on relève un contingent prépondérant de petites gens appartenant au monde de l’artisanat, du petit commerce, de la mer et du port.

Organisation et rituel

On n’a pas vraiment affaire à un parti au sens moderne du terme. L’organisation d’un  » Comité napoléonien  » est tardive : 1892. Il deviendra le CCB (Comité Central Bonapartiste) en 1908. Parallèlement est créé un éphémère comité bonapartiste ouvrier fort de trois cent membres à sa naissance et un comité des  » Jeunesses plébiscitaires  » qui se propose de rassembler les jeunes non encore électeurs. Le président de ce comité de jeunes, à Paris, s’appelle Vincent de Moro-Giafferi et ses vice-présidents César Campinchi et François Pietri. Tous trois seront députés et ministres. L’existence de ce comité sera de courte durée. (A noter qu’une dizaine d’années plus tard, Moro-Giafferi sera républicain).

Ce qui fait la vie et la sociabilité bonapartiste, c’est le rituel. Tandis que le continent français vit à l’heure des Mariannes républicaines, Ajaccio cultive l’image de l’empereur et développe son propre registre symbolique.

L’hôtel de ville est  » le temple sacré  » et les membres du conseil municipal en sont les gardiens. La statuaire impériale est l’objet de culte et rassemble les fidèles à jours fixes d’un calendrier festif soigneusement programmé.

L’Ajaccienne devient l’hymne impérial, le chant du ralliement, celui des succès aussi bien que des colères tandis que la Marseillaise est réservée aux cérémonies officielles.

Les anniversaires de la mort de l’Empereur, de celle de Napoléon III, de celle du Prince Impérial sont des temps forts des rencontres bonapartistes. Chants, affiches, lampions, fanfares municipales, discours ampoulés, accompagnent la fête impériale et le tout est régulièrement orchestré par la presse napoléonienne qui connaît son heure de gloire.

La presse

Il s’agit d’une presse d’opinion et de combat. On y entretient régulièrement la légende impériale et on y attaque la République. Son horizon est essentiellement insulaire et plus proprement ajaccien, ce qui n’empêche pas la liaison avec la presse nationale de même bord : Le Gaulois, Le Petit Caporal, Le Pays et d’autres grands organes bonapartistes dont elle se fait l’écho.

En plus de l’Aigle et du Drapeau, d’autres quotidien occupent le terrain de la propagande bonapartiste : L’Echo D’Ajaccio dans les années 1870, L’Aiglon, organe de la jeunesse bonapartiste au début du XXème siècle. Le Drapeau fait preuve d’un virulent anti-parlementarisme et croise le fer avec l’officiel Journal De La Corse. Avec le temps, il glisse dans les excès de l’idéologie nationaliste et se révèlera violemment anti-dreyfusard. Il mènera aussi le combat contre la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

D’autres journaux apparaissent entre 1870 et la décennie qui précède la guerre de 1914 ; citons :  » Le Réveil De La Corse  » (1876) bonapartiste à ses débuts, et qui à partir de 1892 s’éloignera de la doctrine et finira par rallier la République ;  » L’Appel Au Peuple  » et  » La Matraque  » qui, on le verra plus loin ne pardonnera pas à Pugliesi-Conti, futur maire d’Ajaccio, son ralliement à la République.

La doctrine

Dire du bonapartisme qu’il n’a pas de doctrine et qu’il se résume au culte de Napoléon est certainement injuste, même si l’entretien de la légende impériale peut apparaître comme le dénominateur commun de ses formes d’expression.

Nulle part mieux qu’à Ajaccio ne se perçoivent les origines du courant populiste qui est une des principales composantes de la droite française telle que l’a si bien analysée René Rémond en la reliant au gaullisme contemporain.

Voilà qui devrait amener à dépasser l’approche purement folklorique de la question et à rendre à Ajaccio la place qui lui revient dans la très sérieuse histoire des idées politiques de la France contemporaine.

On est en fait en présence d’un passionnant laboratoire d’analyse dont la variété de la presse donne déjà une idée. Plus que de réinterprétation locale des grands courants politiques de la période, il convient de parler d’adaptation et d’insertion, au fil d’un contexte mouvant.

Le bonapartisme orthodoxe qui s’était rapproché de l’orléanisme au temps de Mac-Mahon dévie vers le boulangisme une vingtaine d’année plus tard.

Les partisans de la République

Les bonapartistes occupent une telle place à Ajaccio et font tant de bruit qu’on en arrive à oublier les républicains.

C’est un tort, car ils sont bien là, plus qu’honorablement représentés dans les résultats des scrutins et l’avenir leur appartient. Rappelons que Zevaco et Nicolas Peraldi ont été maires républicains d’Ajaccio en 1848 et 1876, et que surtout il est un homme qui tranche avec la traditionnelle classe dirigeante locale, qui supplante tout le monde et qui est le plus représentatif du ralliement à la République : Emmanuel Arene  » U Rè Manuele « , cet ajaccien qui a incarné la République à l’échelle de la Corse et qui  » régna  » sur la politique insulaire. Citons également Timothée Landry républicain aussi et ajaccien.

La presse républicaine est représentée par le  » Journal De La Corse à Ajaccio « ,  » Le Petit Bastiais  » ou  » Bastia Journal  » à Bastia.

Ajaccio n’est pourtant pas un haut lieu du symbolisme républicain. On y cherchera en vain la trace d’un de ces lieux de mémoire qui célèbrent la Révolution, une de ces Mariannes, de ces devises, de ces monuments à la gloire des  » Pères fondateurs  » qui foisonnent par exemple en Provence. Ici, pas de Gambetta ni de square de la Liberté… tout est accaparé par le souvenir du  » Grand Homme « .

Les 14 juillet ajacciens, malgré les efforts des autorités en place, se déroulent sans enthousiasme et la fête est uniquement officielle…Rien de commun avec la spontanéité et la liesse populaire du 15 août.

1906 l’année charnière

1906 constitue le tournant du bonapartisme. Il a un chef, Dominique Pugliesi-Conti, élu maire en 1904. Celui-ci s’est opposé à la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Cette année là, le parti bonapartiste devient un parti clérical, défenseur de la religion. Le journal Le Drapeau écrit :  » Nous crions  » Vive Dieu  » avant de jeter notre cri  » vive l’Empereur !  » « . Cependant, le soutien professé à la cause impérialiste (c’est-à-dire de l’Empereur) a progressivement diminué d’ampleur au fil des années et devient culte exclusif de Napoléon 1er.

Le Comité Central Bonapartiste est crée en 1908 avec pour objectif de rassembler les élites locales. Dans leurs statuts il est inscrit leur  » volonté commune de perpétuer le souvenir et le culte de l’Empereur et de défendre les intérêts d’Ajaccio, ville Impériale  » avec cette profession de foi :  » Le parti bonapartiste commémore les grands évènements de l’histoire napoléonienne. Il œuvre pour que la ville impériale soit administrée par un conseil municipal, une municipalité et un maire bonapartistes.

Mais on ne peut pas bouder éternellement la République ! Les  » politiques  » l’ont compris, les Casabianca d’abord, les Gavini ensuite en 1893… les bonapartistes ajacciens ont mis plus de temps à le faire.

Toute préoccupation dynastique est désormais exclue. Il appartient à Dominique Pugliesi-Conti de reconnaître publiquement la République et d’associer la Marseillaise et l’Ajaccienne qui feront désormais bon ménage à Ajaccio.

L’évolution arrive à son terme avec la candidature et l’élection de Dominique Pugliesi-Conti à l’élection législative de 1910.

La solution de compromis est trouvée, on peut être bonapartiste et républicain à la fois. Le cycle est bouclé.

L’élection à la députation de Dominique Pugliesi-Conti est fêtée aux chants de la Marseillaise et d’un couplet oublié de l’Ajaccienne.

La République nous appelle

L’Aigle n’est plus, mais les Aiglons

A leur tour combattront pour Elle

Napoléon…Napoléon.

De  » purs bonapartistes  » s’interrogent sur l’avenir du parti. En 1914, Dominique Pugliesi-Conti est réélu député avec 78% des suffrages, mais on a frôlé la scission avec la présentation d’une liste de  » bonapartistes intransigeants « . Mais la personnalité du député-maire a fait que les mécontents sont rentrés dans le rang, mais écoeurés et s’interrogeant sur l’avenir politique du parti. Pour cause de guerre, les passions politiques seront sous l’éteignoir. Le prince Victor-Napoléon, chef et symbole depuis la mort de son père, le prince Jérôme en 1891, cesse toute activité politique.

De la fin de la première guerre mondiale à l’an 2000

Un entre-deux guerres tumultueux

Au lendemain de la guerre, suite à sa défaite aux législatives de l’automne 1919, Dominique Pugliesi-Conti cesse d’être le leader du parti bonapartiste et se retire de la vie politique. Avec son départ, le bonapartisme va prendre un nouveau tournant.

Aux municipales qui suivent, les républicains remportent la mairie d’Ajaccio et Jérôme Peri en devient le nouveau maire. Les bonapartistes, dont les campagnes sont financées par François Coty, petit ajaccien qui a fait fortune dans la parfumerie, reviennent aux affaires lors des municipales de 1925, puis de 1929.

Les bonapartistes reconnaissants permettent à François Coty, par la démission du maire en place, Domique Paoli, de devenir maire d’Ajaccio en 1931 sans avoir jamais mis les pieds au conseil municipal (F. Coty mourra en 1934).

Le renouvellement des conseillers municipaux en août 1934 voit le retour de Dominique Paoli à la tête de la municipalité ajaccienne. Dominique Paoli ne dissimule en aucun cas son antipathie pour la République,  » Régime de honte et de boue  » et sa sympathie pour le régime mussolinien, qui menace pourtant la Corse d’annexion. Il approuve l’invasion de l’Ethiopie par les troupes italiennes et adresse au consul d’Italie les félicitations de la ville d’Ajaccio. Le conseil municipal, le 9 mai 1936, s’associant au maire s’écrie :  » Vive l’Italie ! Vive le Duce ! « , sous les applaudissements de toute la salle.

Dominique Paoli changera de langage après le 10 juin 1940 :  » Notre île est et demeure terre française « .

En 1935, Ajaccio demeure l’ultime bastion du bonapartisme alors qu’on n’en entend plus parler à Bastia et ailleurs en Corse. Début 1941, Vichy désigne des délégations spéciales pour administrer les communes de France, et à Ajaccio Dominique Paoli est confirmé dans ses fonctions. Il restera maire de la ville jusqu’en septembre 1943 où il est éliminé par les patriotes du Front National.

Eugène Macchini est désigné comme maire et est remplacé par le communiste Arthur Giovoni après les élections municipales d’avril-mai 1945.

L’après deuxième guerre mondiale

En mai 1947, les bonapartistes s’allient avec les radicaux et les gavinistes, l’ascenseur étant bien entendu renvoyé aux législatives et aux cantonales. Le maire A. Giovoni est battu et les bonapartistes reviennent au pouvoir. Le nouveau maire s’appelle Nicéphore Stephanopoli de Commene, remplacé deux ans plus tard par Antoine Serafini, consécutivement à une révolution de palais à l’intérieur du parti bonapartiste.

En 1950, suite à l’abrogation de la seconde loi d’exil, le prince Louis Napoléon, héritier présomptif du trône, peut à 36 ans fouler la terre de ses glorieux ancêtres. Il est aussitôt fait citoyen d’honneur d’Ajaccio, mais comme son père Victor-Napoléon, il ne se mêlera pas de politique locale. La page a été tournée, et bien tournée.

En 1951, le leader des bonapartistes Antoine Serafini est élu député sur la liste RPF. Cette alliance de Serafini avec le RPF provoquera aux municipales de 1953 la coalition de bonapartistes indépendants opposés à Serafini, avec le docteur François Maglioli pour chef de file, avec des communistes et des radicaux. Le succès couronnera cette initiative.

En 1956, Serafini perdra son siège de député et en 1958 son siège de conseiller général. Voilà donc une nouvelle fois les bonapartistes au creux de la vague.

Durant les évènements d’Algérie, le gros des bonapartistes a vivement soutenu le mouvement d’Alger déclenché le 13 mai 1958. Si leur candidat est battu aux législatives qui suivent la prise du pouvoir par de Gaulle, ils auront leur revanche en mars 1959 où la liste bonapartiste est élue en entier, permettant à A. Serafini de retrouver son écharpe de maire et son siège de député en 1962.

A la première élection du chef de l’état au suffrage universel, les bonapartistes ont choisi de Gaulle.

Suite à l’apothéose des fêtes du bicentenaire de la naissance de Napoléon (1969), aux municipales de 1971 Ajaccio connaît, avec Pascal Rossini, un extraordinaire raz-de-marée bonapartiste. Jamais le vieux parti n’a rencontré un tel consensus, jamais plus il ne recevra une adhésion d’une telle ampleur. Avec le recul du temps, ce triomphe aura été le chant du cygne bonapartiste. La disparition de P. Rossini en septembre 1975 marque un tournant pour le parti.

Le 2 novembre qui suit, aux élections municipales partielles, les bonapartistes l’emportent mais avec seulement 42% des voix (José Rossi 36%, socialistes et communistes 22%).

Ils conservent néanmoins la mairie et le premier magistrat se nomme Charles Ornano, qui occupera la place pendant dix huit ans sans interruption. Lors des élections municipales de 1983, le CCB passe un accord avec le RPR et l’UDF. Ils présentent la  » liste bonapartiste d’union de l’opposition nationale « . Cette liste obtient 59% des voix et 36 élus contre 41% et 9 élus à gauche.

Cette victoire des bonapartistes est une victoire à la Pyrrhus. Sur 36 élus, ils ne comptent que 17 des leurs tandis que ses alliés détiennent la majorité absolue avec 19 sièges ; ce qui n’empêche pas Charles Ornano de conserver son fauteuil de maire.

 » Le Drapeau  » a beau qualifier cette union de grand pas en avant, le fait est que confronté à la poussée de la gauche et aux coups de boutoir de José Rossi, le vieux parti n’avait probablement pas le choix. Le  » pas en avant  » constituait dans son existence un tournant aussi décisif qu’en d’autres temps le ralliement à la République du député-maire Dominique Pugliesi-Conti en 1910.

En 1989 Charles Ornano conserve son fauteuil, mais une nouvelle fois, les bonapartistes ne sont plus majoritaires au sein de leur propre camp. Qui plus est, ils vont à nouveau se diviser et cette fois, ce sera pour un problème institutionnel (statut particulier pour la Corse de M. Joxe).

1993-2003 De la confusion à la chute

Le 5 mars 1994, le docteur Marcangeli neveu de Charles Ornano, disparu en février de la même année, ceint l’écharpe de premier magistrat, devenant ainsi le 40ème maire bonapartiste d’Ajaccio.

Le 23 mai 1995, le quotidien  » La Corse  » publie un interview de Charles Napoléon, authentique descendant de Jérôme, frère de Napoléon et fils du prince Louis Napoléon, l’héritier dynastique. Il expose sa vue des affaires corses et préconise la définition d’un projet cohérent de développement dans un triple cadre : régional, national et européen. C’est la première fois depuis plus d’un siècle qu’un descendant des Bonaparte manifeste son intention et son désir de jouer un rôle dans l’île natale de l’illustre famille ; (il est depuis mars 2001 deuxième adjoint au maire d’Ajaccio. Signe particulier : il a été élu non sur la liste bonapartiste, mais sur la liste de gauche).

Aux élections municipales de 1995, les bonapartistes sont redevenus majoritaires au sein du groupe vainqueur. Ils ont 18 élus contre 15 à leurs co-listiers Rossistes, RPR et divers droite. Mais de nouveaux clivages surviendront au cours du mandat, annonciateurs du bouleversement de 2001.

Les élections territoriales et cantonales de 1998 voient la coalition municipale s’effriter et feront des bonapartistes les principales victimes de la confrontation. Ils avaient deux sortants et dorénavant ils ne sont plus représentés en tant que tel. Un sérieux vent de fronde souffle sur le bonapartisme. Les orages se sont levés. L’étau va désormais se resserrer autour du parti et de son leader Marc Marcangeli.

La crise va éclater le 12 juillet 2000. Le maire est mis en minorité et avec vingt de ses fidèles démissionne. La majorité élue en 1995 autour de Marcangeli et de José Rossi a volé en éclats. Parallèlement, l’étoile de Simon Renucci s’était levée, venant obscurcir le ciel majoritaire et provoquant des craintes sérieuses au sein de l’alliance en place depuis vingt ans.

A l’élection du 11 mai 2001, c’est le coup de tonnerre : Renucci devance le maire sortant de cinq points et la gauche l’emporte avec 34 sièges contre 9 au maire sortant et 2 aux nationalistes. Charles Napoléon, qui au premier tour avait obtenu 11% des voix deviendra le deuxième adjoint de Simon Renucci élu maire d’Ajaccio. C’est une grande page de l’histoire d’Ajaccio qui se tourne.

Aux élections législatives qui suivent, S. Renucci bat le député sortant J. Rossi. Dans l’espace de deux années, la cité impériale a accompli sa révolution politique et Charles Napoléon de déclarer :  » Cette victoire n’est pas un aboutissement, mais un commencement. « 

Ainsi donc, les dernières 25 années ont été fatales au vieux parti. Depuis 1975 en effet, le CCB s’est effrité sous l’assaut de ses adversaires de toutes tendances qui, de l’extérieur comme de l’intérieur, se sont évertués à le combattre, le démystifier et le phagocyter. Naguère encore, représentant très majoritairement la conscience de droite, le CCB était en mesure de dicter sa loi à des partenaires se reconnaissant dans les partis nationaux (RPR, UDF, CDS, CNI).

Au lendemain des cantonales de 1979 et des sénatoriales de 1980, le CCB leur a concédé, concession lourde de conséquences, le choix de leurs propres candidats. Le parti dominant n’était plus dès lors qu’une composante de la coalition qu’il continuait à diriger mais que le pacte avec l’UDF et le RPR avait notablement affaibli.

Le parti bonapartiste a ainsi perdu au fil des renouvellements (1983, 1989, 1995) sa personnalité propre pour devenir malgré les apparences l’instrument du pouvoir ou de l’ambition d’alliés qui n’avaient pas  » l’aigle au ventre « .

Que reste-t-il aujourd’hui du parti bonapartiste ajaccien ?

Pour Xavier Versini, magistrat honoraire et conseiller municipal d’Ajaccio de 1989 à 1994, le CCB c’est le musée Grevin :  » Le maire est le maître du jeu et le comité central n’est qu’une coquille vide. « 

Le parti bonapartiste, il n’est plus question de Comité Central Bonapartiste, s’est reconstitué en 2003 au lendemain des deux plus grands revers de son histoire. Son nouveau président a réaffirmé l’engagement républicain du parti sur les valeurs bonapartistes et il a appelé à  » l’union de la grande famille bonapartiste  » les familles gaullistes, centristes et libérales pour  » assurer la victoire des urnes  » dans toutes les consultations.

De nouveaux statuts ont été adoptés, avec un préambule bien plus nuancé que l’article 1er des temps heureux.

 » Le parti bonapartiste participe activement à la vie politique en oeuvrant principalement pour que la cité soit administrée par une majorité d’élus bonapartistes. « 

L’ambitieuse formulation  » …par un conseil municipal, une municipalité et un maire bonapartiste  » est revue à la baisse, laissant place aux autres familles de centre droit et de droite. C’est dans cet ordre d’idées que  » le parti bonapartiste entend élaborer un projet politique capable de répondre aux défis posés à Ajaccio et plus généralement à la région Corse ; participer au débat démocratique en portant le message du bonapartisme ; traduire en actes son projet politique dans toutes les institutions de la région Corse. « 

Ce message a-t-il des chances d’être entendu ? Seul l’avenir le dira.

 

Ange PIERAZZI

Juin 2006

 

 

Bibliographie

Textes, témoignages et paroles de : Marie-Josèphe Grisoni, Blanche Landucci, Dominique Orsoni, François Ponponi, Paul Silvani dans :

 » Histoire d’Ajaccio (La Marge Edition, 1993)

 » Ca s’est passé en Corse, Paul Silvani, (Editions Autres Temps, 1995)

 » Le Mémorial des Corses, tomes 3 et 4, 1979-80

 » Le Bonapartisme, Une saga Corse, Paul Silvani (Editions Albiana, 2003)

 » Histoire de la Corse du XVIIe siècle à nos jours, Michel Vergé-Franceschi

(Editions du Félin 2000)

 » Histoire de la Corse publié sous la direction de Paul Arrighi (Privat Editeur, 1974)

Nous tenons à exprimer nos plus vifs remerciements à M. Paul Silvani pour nous avoir autorisé à puiser abondamment dans son récent livre  » Le Bonapartisme « , ouvrage de référence sur le sujet.

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