HENRI TOMASI
Henri Tomasi, Compositeur Corse
Cet exposé à été présenté par Pierre Colombani dans le cadre d’une soirée organisée par le FORUM NICE NORD le jeudi 24 novembre 2005 à l’initiative de l’Accademia Corsa.
Introduction :
Je vais vous parler de notre compatriote Henri TOMASI, illustre et unique compositeur Corse, et je serai relayé pour agrémenter mes propos, par des interprétations de Madame Pierrette MORGANTI, professeur de piano en retraite, témoin visuel qui a bien connu Henri TOMASI pour avoir effectivement travaillé avec lui.
Il y a également Madame Arlette PELLEGRINI, qui interprètera des chansons dont les accompagnements et certains textes sont du compositeur.
Il y a encore quelques mois, j’étais probablement dans la même situation que certains d’entre vous, car je ne connaissais pas Henri TOMASI, et je suis parti à sa recherche.
Si par curiosité vous avez connaissance cette saison de la programmation culturelle à Marseille, Paris, Londres etc… vous découvrirez que les œuvres du compositeur Henri Tomasi sont interprétées, chorégraphiées, mises en scènes par les plus grands artistes de notre époque.
Par exemple :
L’Opéra Sampiero Corso ou l’Atlantide présenté en octobre 2005 pour la première fois en langue Corse par notre compatriote Renée AUPHAN, directrice de l’Opéra de Marseille , évènement culturel de la rentrée.
De cet opéra la presse nationale et internationale s’accordent à dire, d’une part, que la qualité musicale intrinsèque de l’œuvre méritait sa renaissance, et d’autre part, que le chant et les récitatifs en Corse lui conféraient une dimension lyrique insoupçonnée.
Le » Retour à Tipasa » en 1966, une cantate profane composée sur un texte d’Albert Camus, cet hymne à la lumière méditerranéenne a bénéficié d’un enregistrement par l’orchestre de Marseille pour FR3.
Enfin le » Requiem pour la Paix » composé en 1943 au Monastère de la Ste Baume, dédié à tous les martyrs de la Résistance et à tous ceux qui sont morts pour la France, présenté en concerts à Londres, Paris etc…
Je pourrai vous en citer bien d’autres, et le dossier de presse que je mets à votre disposition témoigne de l’actualité de ce compositeur …
Qui était donc ce compositeur qui repose auprès de son père à Penta di Casinca ?
Pour quelles raisons l’œuvre de ce compositeur est-elle aujourd’hui d’actualité ?
A ces questions, les journalistes musicologues tentent d’y répondre.
Pour ma part ce soir, je souhaite simplement vous faire partager le plaisir que j’ai eu à découvrir l’AME CORSE de cet homme qui parlait de sa musique comme des » sincérités successives » et qui disait modestement qu’il était un mélodiste, écrivant pour le grand public une musique qui vient du cœur.
Henri Tomasi, c’est d’abord un méditerranéen, né en Provence en août 1901 à la Belle de Mai, issu d’un père corse de Penta di Casinca devenu facteur à Marseille pour faire vivre sa famille.
Henri Tomasi fut le fils de son père, c’est-à-dire le fils d’un homme passionné de folklore corse, musicien et érudit qui va probablement lui transmettre les valeurs qui feront d’Henri Tomasi un homme issu d’un milieu social modeste mais riche d’une curiosité sur les hommes et leur environnement.
En 1930 son père Xavier Tomasi a dédié un livre de musique de chansons corses à son fils dans lequel il a recherché avec Paul Arrighi la musique des chansons populaires corses.
Un travail considérable a été réalisé avec des régionalistes bibliothécaires, car ils se sont rendus dans chaque micro-région pour retranscrire non seulement la poésie, mais aussi la musique.
Nous savons tous que la musique corse remonte à la plus haute antiquité, et qu’il y a des ressemblances entre nos vocéri et i lamenti avec les cantilènes des romains et la mélodie grecque…
Xavier TOMASI a recherché la particularité des chants populaires corses, partant de l’hypothèse d’une revue écrite en 1862 qui précisait » les chants populaires corses respirent le sentiment profond de la personnalité et de la dignité humaine, la bravoure sauvage, les affections vigoureuses, les douleurs tenaces, les haines héréditaires, jointes à ces austères vertus sur lesquelles est venu s’implanter un catholicisme des plus fervents. «
Nul doute que le jeune Henri Tomasi connaissait notre patrimoine musical, il écrivit en 1968 » mes œuvres d’inspiration corse sont fokloriques, sans l’être.
Mais il est vrai que lorsque j’étais enfant, je passais l’été à Bastia chez ma grand-mère qui connaissait tous les contes et toutes les chansons corses ;
Je ne me lassais jamais de l’écouter, ce qui m’a imprégné de cette poésie, au point que Vocero et Samperio Corso, lui doivent d’exister «
Pour évoquer cette pensée je vous propose d’écouter un chant à Cappela qu’il a écrit et mis en musique, par Arlette PELLEGRINI :
« U cantu di u mio paèse »
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De longues lignes seraient nécessaires pour évoquer la jeunesse d’Henri TOMASI.
Mis au piano dès l’âge de 6 ans il se révèle un brillant étudiant au conservatoire de Marseille, puis admis avec une bourse de la Ville de Marseille au Conservatoire Nationale de Musique de Paris.
Il continue des études avec notamment les maîtres G. Caussade et P. Vidal, des professeurs qui ont marqué leur époque pour leur méthode pédagogique innovante en harmonie et composition, encore utilisée de nos jours.
Ces études s’achèvent en 1927 avec un grand prix de Rome de composition et le Ier prix de direction d’Orchestre à l’unanimité.
Cette vie d’apprentissage était aussi liée à la nécessité de gagner sa vie, Henri Tomasi travaille dès l’âge de 16 ans comme pianiste dans les cinémas muets de Marseille, les grands hôtels … ce qui obligeait probablement ce jeune homme à imaginer, inventer, composer des musiques.
Henri Tomasi a été cinéphile toute sa vie, et il a écrit des musiques de film.
Le piano n’a pourtant pas été son instrument de prédilection, et cependant, on relève des pièces brèves, que nous allons écouter et qui vous permettront de découvrir sa sensibilité et son langage musical.
Au piano, Pièces brèves d’Henri TOMASI par Madame Pierrette MORGANTI :
1ère suite : « Et s’il revenait un jour ? »
Menuet : « Le lied que chante mon coeur »
2ème suite : Parade, air à danser » Espiègleries »
Pour les mélomanes, vous aurez sûrement noté que la musique d’Henri TOMASI est particulièrement difficile à exécuter, car il était un compositeur qui recherchait la perfection à l’extrême. Madame Pierrette MORGANTI, professeur de musique en retraite qui connaissait sa musique pour l’avoir travaillée avec lui, a su nous faire revivre admirablement l’âme de sa musique.
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En 1928 il épouse Odette Camp étudiante des Beaux Arts, et l’année suivante, l’emmène découvrir la Casinca, le pays de ses ancêtres.
Puis, il débute une double carrière : CHEF D’ORCHESTRE ET COMPOSITEUR .
Dans les années 30 il est l’un des premiers chefs à diriger les orchestres de Radio, notamment l’une des premières stations de radiodiffusion créée en France » radio colonial 1931 » pour laquelle il écrivit plusieurs pièces radiophoniques et devient membre du groupe de musique contemporaine » Triton » aux côtés de Milhaud, Poulenc, Honegger, Prokofiev.
Nous sommes en pleine période coloniale.
Il dirigera ensuite toutes les grandes formations orchestrales françaises.
Dans l’après seconde guerre mondiale, il a d’éclatants succès à Monte Carlo, en Suisse, en Hollande, en Belgique, en Allemagne, entre autres, et ces succès firent de lui un chef d’envergure européenne, particulièrement apprécié pour son interprétation ardente, inspirée d’une musique française qu’il défendrait avec prédilection.
Henri TOMASI était un excellent chef d’orchestre.
Difficile d’articuler les deux carrières chef d’orchestre et compositeur … surtout en 1952 lorsqu’un accident interrompt sa carrière… Henri Tomasi choisit la composition.
Henri TOMASI était aussi Compositeur :
Son œuvre est d’une abondance et d’une diversité telles que le critique Emile Vuillemoz l’a qualifié de musicien protéiforme.
Henri TOMASI a vécu les guerres de 14-18, 39-45, il s’intéressait à tout, il a côtoyé les plus grands artistes.
Il a en effet abordé tous les genres (concertos, poèmes symphoniques, mélodies, ballets opéras, musique de films …) des thèmes et des caractères les plus opposés se rencontrent dans ses ouvrages.
Son langage est particulier, il se distance par des écritures sculpturales différentes.
Dans son écriture, il privilégie l’expressivité de la mélodie et la richesse orchestrale. L’intensité des contrastes et des couleurs, l’énergie des rythmes et des mouvements est recherchée.
Henri TOMASI n’a pas cherché à séduire. Il a cherché à faire parler sa musique, car il était un littéraire engagé dans la recherche du sens de la perfection, du sens de la vie, et il mérite qu’il soit écouté.
En outre, dans les dix dernières années de sa vie il a transformé notablement son écriture, il l’a fragmenté, dépouillée.
S’il a maintenu des affinités avec l’art de Debussy, Ravel, Fauré et même de Puccini, il a eut des sources d’inspiration corse, provençale exotique grégorienne.
C’est sa seule sensibilité qui assure l’unité et la personnalité d’une musique dont le souffre incontestable est indépendant de tout système.
L’art de Henri Tomasi tire sa force de son tempérament de méditerranéen, passionné, revendiquant la primauté du cœur.
Passionné de littérature, sa musique, va se faire volontiers l’épouse harmonieuse du verbe, elle vise à la résonance juste, à une amplification poétique ou dramatique des sensations, des émotions, des significations écrites.
Ses oeuvres majeures peuvent être classées selon trois thèmes.
En premier lieu : LE CHANT DU MONDE ou MUSIQUE DU MONDE (écrit printemps 1918)
Marseille, c’est avant tout la Méditerranée.
Avec ses adaptations de récits d’Alphonse Daudet, qu’il rencontre très souvent, Henri Tomasi ancre son inspiration dans la région de Provence et la ville de sa naissance Marseille se considérant comme un voyageur immobile.
Il réalisera les ballets des santons, la messe de minuit pour les moines de Frigolet, les folies mazarguaises.
Chez Tomasi, la Thalassa des anciens grecs, la méditerranée de l’Europe et de l’Afrique est omniprésente. Chaque partition de chants laotiens de 1933, des chants de geishas de 1935, est un voyage à la rencontre d’autres façons d’être et d’aimer, à la rencontre d’autres sonorités et d’autres rythmes.
Il va à la rencontre d’autres êtres divers, et pourtant semblables dans leurs interrogations face à la vie et à la mort, face à leur condition humaine.
Henri Tomasi est un poète, il illustre des textes, de Francis Carco, Francis Jammes ou Paul Fort.
Sur le thème de la poésie, je vous propose maintenant d’écouter au piano par Madame Pierrette MORGANTI, d’Henri TOMASI :
Un extrait de » Paysages, Les mouettes »
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Mais Henri TOMASI va évoluer, il s’élève vers LE MYSTIQUE, le spirituel, le religieux.
Durant la deuxième guerre mondiale, la découverte des horreurs nazis et l’explosion d’Hiroshima seront des temps douloureux pour lui.
Il écrit de grandes œuvres, par exemple :
Don Juan Manara, un opéra avec un texte d’Olivier Venceslas de Milosz, écrivain lithuanien, dans lequel on entend l’admirable procession du jeudi saint, inspirée de celle du catenaccio, l’enchaîné de sartène, la musique fait citation du Dio Vi Salvi Regina.
Le requiem pour la Paix
Alors qu’en 1943 il se préparait à entrer dans les Ordres au monastère dominicain de la Sainte Baume (près de Marseille), la naissance de son fils Claude, le ramena vers un monde dont le seul espoir lui sembla désormais politique.
Cependant son irréductible tempérament de méditerranéen, passionné, combatif, l’amena à témoigner de l’histoire du vingtième siècle dans ses œuvres mêmes. Et, c’est son engagement de citoyen du monde qui, à partir de 1959, lui inspira ses derniers chefs d’œuvres.
C’est le troisième thème, celui d’un chant de la douleur et de l’héroïsme
Je vous propose d’écouter, diffusé par la Régie, un extrait d’enregistrement de l’ouverture l’opéra Sampiero Corso.
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D’autres œuvres pourraient être citées en 1952 : Noce de cendres (ballet ou suite symphonique, tableau contre la guerre, conçu à partir de l’enregistrement d’un cœur à l’agonie, l’œuvre contient un hallucinant dies irae disloqué par un rythme de blues)
En 1959 Avec Le Silence de la Mer, drame lyrique sur la Résistance, d’après le récit de Vercors, Henri TOMASI inaugure de nouvelles conceptions, aussi bien scéniques que musicales (drame lyrique en un acte pour un chanteur et deux acteurs ….)
En 1965, c’est L’éloge de la Folie de l’ère nucléaire, jeu chorégraphique et lyrique, pour trois chanteurs et un corps de ballet.
Le concerto pour guitare à la mémoire d’un poète assassiné, Frédérico Garcia Lorca sera suivi d’autres concertos , pour la contrebasse, pour la flûte, pour le violoncelle … Henri TOMASI connaît bien les instruments…
Il y a aussi Le Chant pour le Vietnam, dédié à Ho Chi Minh, La symphonie du Tiers Monde, qui est une dénonciation du colonialisme, du racisme, de l’impérialisme.
Enfin » Retour à Tipasa » en 1966 qui sera une magnifique leçon d’espoir sur l’homme, et un équilibre entre le texte et la musique.
Il mourut à Paris en 1971.
Et la Corse ? me direz – vous ?
En 1932 il écrit dans le guide du concert :
» la Corse, la vraie Corse reste encore à découvrir par les librettistes qui ne croient pas seulement aux bandits en escopette, et par les musiciens qui ne se contentent pas d’une chanson populaire pour exprimer les tréfonds de l’âge d’une race antique, indépendante et fière comme la nôtre.
Il faut avoir la Corse dans le sang pour avoir le pouvoir de la chanter, c’est par le paysage d’abord qu’on est Corse, qu’on le devient, et qu’on le reste « .
A mes deux questions du départ :
Qui était Henri TOMASI ? J’espère avoir suscité chez vous la curiosité de le découvrir,
et à l’autre question : Pour quelles raisons son œuvre est t-elle toujours d’actualité ? je répondrai que Henri TOMASI était un visionnaire.
Il est vrai que sa musique demande une écoute particulière. Connu de son époque, il était très engagé dans son temps.
Mais il nous a laissé une œuvre abondante et superbe.
En mémoire à ce compositeur, je vous invite à écouter de vieilles chansons corses qu’ils nous a laissées, par Madame Arlette PELLEGRINI, accompagnée au piano par Madame Pierrette MORGANTI, musique de Henri TOMASI :
« Vocero » air populaire corse, paroles françaises de Lorenzi de Brandi,
« NININA » berceuse populaire corse, paroles françaises de Lorenzi de Brandi,
« Lamentu sirinata di Spanettu » (lamento sérénade sur le mort de l’âne Spanettu), poésie de Santu Casanova,
« O Ciucciarella » berceuse populaire corse, paroles françaises de Lorenzi de Bradi,
« Cantu di Malincunia, chant mélancolique
Et pour terminer :
le « Dio vi Salvi Regina », mis en musique par Henri TOMASI, qui sera chanté tous ensemble et debout .
Comment bien décrire l’œuvre d’un compositeur aussi illustre qu’Henri TOMASI, si ce n’est de le faire interpréter.
Merci à Madame Pierrette MORGANTI et à Madame Arlette PELLEGRINI qui ont mis de la couleur à mon modeste exposé, par leur talent et les émotions qu’elles ont su nous donner.
Avant de nous quitter, le Président de l’Accademia Corsa Jean STEFANI vous invite à un cocktail dans la cafétéria, et vous pourrez converser avec Madame Pierrette MORGANTI qui peut très bien vous parler du talent de Henri TOMASI, et aussi avec son fils Claude, qui nous a fait l’honneur d’être parmi nous ce soir.