DETI E PROVERBI CORSI
Mathieu LUCIANI
Février 1986
Rassurez-vous, il n’est pas dans mes intentions de vous imposer un cours magistral. Ce ne sont ni l’heure, ni l’endroit.
Je voudrais tout simplement vous offrir une récréation, certes, éducative mais qui doit rester un moment de délassement après une journée de travail ou d’occupations diverses.
D’ailleurs, le sujet choisi semble au prime abord futile, et ne fait pas très sérieux ; en regard de problèmes qui agitent et préoccupent actuellement notre île, il est évident qu’il ne fait pas le poids.
Et pourtant, si on veut bien réfléchir quelques secondes, on ne peut s’empêcher de constater combien ces petites phrases sont lourdes de sagesse, de bon sens et d’humour. Elles représentent toute une tradition orale, aux originesdiverses : religion, paganisme, vie rurale ou histoire, et perpétuent en fait notre culture et notre identité.
Elles savent aussi résumer, en un condensé saisissant tous les événements comiques ou tragiques qui ont jalonné notre histoire.
Comparables, toutes proportions gardées, aux fables de La Fontaine ou aux maximes de La Rochefoucauld, elles peuvent et doivent par leur profondeur, inspirer notre jeunesse car tout compte fait, elles sont le trait d’union authentique entre notre passé et l’avenir.
Bien sûr, beaucoup de ces proverbes sont intraduisibles et perdent toute leur saveur lorsque l’on veut les « rendre français » ; d’autres demandent un certain savoir, une certaine initiation pour être compris et appréciés. C’est la raison pour laquelle le tri n’a pas été facile, car ils sont légion nos proverbes corses.
J’ai essayé de choisir les plus représentatifs et surtout, de vous raconter leur origine afin de mieux vous les faire apprécier.
Il faudra être très indulgent avec moi, car deux défauts vont se répéter tout au long de cet exposé : le premier relatif à la prononciation. Je suis natif de la Corse du Sud, et chacun sait la différence qu’il y a, surtout au niveau de l’accent tonique, entre le parler de ceux d’en deçà et ceux d’au-delà les monts.
Le deuxième relatif à la lecture. Chaque corse sait bien qu’il est plus facile de parler notre dialecte, que de le lire et a fortiori de l’écrire.
Cela dit, je voudrais justifier davantage l’importance de nos proverbes, en faisant référence à un personnage imaginaire, sorti tout droit de l’Ancien Testament, mais très connu et très apprécié dans l’île ; je veux parler de Salamone.
Il affirmait : « I pruverbi so santi e giusti » (allusion à l’Evangile), et il ajoutait : « Ci vole cent’anni pe fa un’pruverbu » (allusion au temps qui valorise).
Devant ces deux références, tout commentaire semble superflu !
Afin d’éviter une certaine monotonie, j’ai classé mes proverbes en quatre chapitres qui sont :la Société, la Religion, la Famille et les Défauts.
LA SOCIETE
Le corse a tendance, souvent par jeu, à se moquer de la société en général et son propre milieu en particulier. En raison de sa nature latine et surtout méditerranéenne, il sait tourner comme il faut, les phrases qu’il faut, des défauts les plus criards ; voici quelques exemples :
A ch’un si sente polsu, un’piglia moglie : qui n’en a pas la force, ne prend pas femme (sans commentaires !).
E fune longhe, diventanu serpe : les cordes trop longues deviennent des serpents ; c’est une allusion humoristique à propos des jeunes gens qui restaient longtemps fiancés et qui, ne pouvant plus se supporter, décidaient de ne plus se marier !
Un’ce piu un palmu di netu : il n’y a plus une paume (de main) de net ! Cela veut dire que dans notre actuelle société, il n’y a plus rien de juste, de vrai, et que tout est falsifié, trafiqué, erroné.
A scopa sta male, vicinu a un focu : la bruyère est mal placée près du feu. C’est vrai, car elle risque de s’enflammer et c’est ce qui arrivait lorsqu’un jeune homme et une jeune fille vivaient sous le même toit ou trop près l’un de l’autre ; or, en Corse l’incendie est redouté !
Vale piu amicizia che parentia : amitié vaut mieux que parenté. Car les amis on les choisit, alors que les parents on les subit.
Beatu a chi vede, e santu a chi ti toca : heureux qui te voit et saint qui te touche. Cela s’adresse à quelqu’un que l’on n’a pas vu depuis longtemps et qu’il est difficile de voir ou de contacter.
Senza soldi, un’si canta messa : sans argent, on ne fait pas de messe chantée. C’est évident, car sans argent on ne fait rien, tout est interdit, même une messe, c’est-à-dire l’ultime adieu sacré à nos morts (allusion à nos morts si regrettés).
Fume e fame : fumé et faim. Cela s’adresse à ceux qui se prétendent riches et puissants, et qui n’ont que peu de choses ; en français on dit : la poudre aux yeux.
A ch’un sa naviga, fala a un fondu : qui ne sait pas naviguer coule. Il faut savoir mener sa barque, son ménage en toutes circonstances.
A chi a soldi e amicizzia, torci u colu a giustizia : qui a de l’argent et des amis, tord le coup à la justice. On trouve le parallèle en français avec la fameuse expression : selon que vous soyez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
Di done e di vinu, un’n’é fa magazinu : femmes et vin ne les mets pas dans ta réserve. Le vin en effet tourne ou peut faire tourner, et les femmes encore plus !
U mondu e fatu a scale, a chi cola, a chi fala : le monde est fait en escaliers, certains montent, d’autres descendent. C’est l’inégalité dans la société, certains grimpent et réussissent, d’autres échouent et chutent.
Boca chiusa, un’entre mosche : bouche fermée ne laisse pas entrer les mouches. Il est certain que pour être au courant et pour savoir ce qui se passe, il est indispensable de parler, d’interroger donc de dialoguer.
Manghjatu u ficu, persu l’amicu : mangée la figue, perdu l’ami. Une fois le service rendu, on oublie vite à qui on le doit ; ce qui laisse entendre que toutes les relations ou les connaissances sont intéressées.
Ch’un ficu si face un amicu : avec une simple figue, on peut se faire un ami. Il suffit souvent d’une bonne manière, d’un simple geste, d’un petit service rendu pour se faire une amitié durable et sincère.
Una manu lava l’astra e i due lavanu u visu : une main lave l’autre, et les deux lavent le visage. Ce qui veut dire qu’il faut savoir s’entraider entre voisins et qu’à deux on fait bien mieux et plus que seul.
U’è colpa di a gatta, s’è a patrona è matta : ce n’est pas la faute du chat, si la ménagère est folle. On disait cela à propos d’une femme peu soigneuse, étourdie, laissant tout traîner, gouvernant mal son foyer, à tel point que parfois le chat dérobait la viande laissée sur la fenêtre ou sur la table.
Anchu pavaru è chjuculellu, ma si face senta : le poivre aussi est tout petit, mais il se fait sentir. Certaines pesonnes sont petites par leur taille mais savent aussi se faire entendre et notamment certains maris qui bien que tout petit, savent se faire craindre et respecter par toute la maisonnée.
Fora u dentu, fora a pena : chassé la dent, chassée la douleur. En clair, cela signifie qu’une fois la dette payée, il n’y a plus de soucis, la conscience est plus tranquille et on se sent mieux.
Un’si sa mai da u bè, da u male : du bien ou du mal, on ne sait jamais. En effet, comment savoir ou prévoir comment tournera une affaire, un mariage. Comment savoir, une fois une décision prise, si elle nous réservera du bonheur ou de la déception.
Un’c’è pesce senza lische : il n’y a pas de poissons sans arêtes. Car rien n’est aisé, il y a toujours des obstacles, la vie est un éternel combat.
Mi costa l’ossu di u colu : cela me coûte l’os du cou. Pourquoi le cou ? Parce que les vertèbres cervicales sont précieuses et inestimables ; elles tiennent le corps droit, elles supportent la tête, donc la dépense est importante ou l’affaire !
LA RELIGION
Le corse est très religieux quoi qu’on dise, mais à en croire nos braves curés de campagne (qui sont hélàs de plus en plus rares), il est peu pratiquant. Il n’empêche qu’il soit très attaché à son église et surtout au Saint Patron de son village ou de sa contrée ; ce qui ne l’empêche pas de critiquer vertement (mais sans méchanceté) les curés et de proférer d’horribles jurons sur Dieu, la Vierge, les Saints et Satan. Concernant la religion, les proverbes abondent. Ainsi :
Cure cuntentu, Dio l’aghjuta : à cœur vaillant, Dieu vient en aide. Il ne faut jamais désespérer et le ciel nous aide toujours à surmonter les obstacles.
Un diavulu caccia l’altru : un diable chasse l’autre. Un ennui chasse l’autre et en fait, dans la vie, rien n’est facile, il y a toujours quelque chose qui ne va pas. Les embêtements sont continuels tout au long de notre existence.
Ognunu a i soi : chacun a ses soucis. C’est vrai, chacun est en but à ces tracas, nul n’est épargné.
Si sbaglia anchu’u prete a l’altare : même le prêtre se trompe à l’autel. Cela est souvent dit pour justifier que l’erreur est humaine, donc pardonnable ; car même ce qui est considéré comme sacré (le prêtre) peut se tromper, a fortiori le commun des mortels.
In cumpagnia, anc’u prete piglia moglie : en compagnie, même le curé se marie. Donc, il faut excuser les gens de leur excès ; et par extension demander à l’épouse de pardonner les écarts éventuels du mari lors d’une sortie, ou d’une soirée un peu trop arrosée et qui a pu amener à quelques actions plus ou moins répréhensibles.
Un’é farina da fa ostia : il n’est pas de la farine dont on fait l’hostie. Cela se dit à propos d’un vaurien, d’un voyou dont les actes et les agissements n’ont rien à voir avec la pureté et la blancheur de l’hostie, donc du sacré.
U signore è passatu qui di notte : le Seigneur est passé ici de nuit. Ce proverbe, moins connu mais très significatif, voulait dire que Dieu maître de toutes choses, a fait tout très bien et très beau ; si un lieu, ou un paysage bien déterminé est laid et disgracieux, c’est que Dieu y a travaillé la nuit, donc dans l ‘obscurité et que ne voyant rien, il n’a pas réussi dans son œuvre, d’où la laideur, l’affreuse image de l’endroit, du village ou de la contrée.
Spuglia a dhjesa per veste l’altare : dépouille l’église pour habiller l’autel. C’est une critique envers ceux qui empruntent pour payer leurs dettes, car cela ne résout pas leurs problèmes, ils doivent toujours à quelqu’un et ils prennent à certains ce qu’ils doivent à d’autres. Il ne faut jamais devoir à personne.
Che Santa Lucia, ti mantega a vista : que sainte Lucie te garde la vue. C’est un proverbe dont l’origine religieuse est évidente ; il est tiré d’une légende qui disait que sainte Lucie se serait elle-même arraché les yeux pour respecter son vœu de chasteté et fuir les tentations. Devant ce geste, ce serait la Vierge elle-même qui lui aurait rendu ses yeux encore plus beaux et plus brillants. Ceci pour insister sur l’importance de la vue, le bien le plus précieux, celui qui permet de voir la lumière, mais aussi d’éviter de faire des erreurs ou de mauvaises actions.
LA FAMILLE
Elle reste encore dans notre île la base solide de tout, et garde un certain respect et une grande importance. « U babbu, a mama » sont très écoutés ; leurs avis, leurs conseils sont très écoutés et suivis par tous, quel que soit l’âge ou la situation. Enfin, lors d’événements heureux ou tristes, qui n’essaye pas de tout faire pour se retrouver, ne fusse que quelques instants au milieu des siens. Dans ces conditions, comment s’étonner du nombre impressionnant de proverbes sur ce sujet.
I parenti so i denti : les parents sont les dents. Cela veut dire que les parents ne doivent plus mâcher le travail et supporter le jeune, dès lors qu’il est en âge de gagner sa vie. Il doit se débrouiller tout seul et ne pas rester à leur charge ; il doit donc user de ses dents pour se faire une place dans la vie.
Chi di gallina nasce, in terra ruspa : qui naît d’une poule, gratte le sol. On ne peut donc renier ses origines, ni son hérédité. Quoiqu’on fasse, le passé ressurgit toujours avec ses tares et ses défauts.
E megliu morti che storti : mieux vaut les voir morts que malhonnêtes. Allusion évidente à l’honneur et à la réputation si importants dans notre île ; à tel point que lorsque les enfants commencent à mal tourner, on préfère (malgré la peine immense que cela implique) les voir morts que bandits ou gangsters.
Un’parla di razza, in casa di bastardu : ne parle pas de lignée, dans une maison de bâtards. Proverbe très connu et plein de bon sens, il fait allusion au fait qu’il est parfaitement inconvenant de faire référence à l’honneur, à la réputation à propos ou pour une famille (ou quelqu’un) qui a beaucoup à se reprocher et qui ne cesse de défrayer la chronique des mauvais faits divers. On dit aussi qu’il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes.
Un’ci vole mai a mettesi in tra l’unghje e a carne : il ne faut jamais se mettre entre l’ongle et la chair. C’est très clair, il faut s’occuper de ses propres affaires, de son propre ménage, et non de celui de ses enfants, même et surtout si ce dernier ne marche pas. Pour que tout se passe bien, il est bon que chacun reste chez soi.
Vale piu una dona che un casale : une femme vaut mieux qu’un patrimoine. A condition, bien sûr, qu’elle soit honnête, travailleuse, sérieuse et qu’elle sache bien gouverner son foyer.
Anche piu pecore anche piu mocci : encore plus de brebis, encore plus de morves. Cela signifie que dans une famille (ou un groupe) lorsqu’il y a trop de gens et en particulier de femmes, le travail est mal fait et c’est la pagaille. En effet, par jalousie ou fainéantise, chacun attend ou espère que l’autre fera le travail et en fin de compte rien n’est fait.
Per dorme o per vegghia, u so lettu è un benista : pour dormir ou pour veiller, son propre lit est le seul bien être. En fait, cela veut dire que l’on n’est jamais aussi bien que chez soi, et qu’on retrouve sa propre maison avec beaucoup de plaisir.
Una casa senza patrone, è un focu senza tizzone : une maison sans maître est comme un feu sans bûche. Sans un homme capable, sérieux et honnête, tout s’écroule dans une maison, comme un feu de paille, sans de bonnes bûches pour l’alimenter.
Un’tucca babbu ch’appia figlioli : ne touche pas à un père qui a des enfants. Inutile ici d’expliquer le sens, le père étant sacré, celui qui veut lui causer des ennuis risque évidemment de s’attirer de la part de ses fils, des désagréments sérieux.
U steccu è figliolu di a legna : la branche est fille de l’arbre. On dit aussi en français, telle mère, telle fille dans le bon comme dans le mauvais sens.
Saccu biotu un’posta rittu : sac vide ne tient pas debout.
Saccu pienu un’piega mica : sac plein ne plie pas. Sans commentaire pour ces deux expressions, tout le monde aura compris.
Un’si po fa pane senza farina : on ne peut faire de pain sans farine. En effet, si on a des prétentions, il faut qu’elles soient en rapport avec nos capacités et nos moyens. Rien ne sert de se vanter, il faut encore prouver, sinon on se tait.
Un buggiardu n’è face centu : un menteur en fait cent. Cela se dit souvent à propos de témoignages, de nouvelles qui, colportés des uns aux autres, sont de plus en plus déformés, aggravés et finissent à la fin par être complètement différents de leur origine. On l’emploie aussi lors d’un éventuel testament où sont supposées être écrites les dispositions plus ou moins favorables pour les héritiers.
Quandu un’è l’ora, né si nasce, né si more : avant l’heure, on ne naît ni on ne meurt. Il faut savoir se plier à la destinée et être un peu fataliste. De même, on dit :
Quandu ci vo a parte; si parte : lorsqu’il faut partir, il faut partir.
Quandu a pera è matura, casca : lorsque la poire est mûre, elle tombe.
Anche l’onori so castichi : même les honneurs sont des punitions. En effet, si celui qui n’a rien et qui n’est rien peut se considérer comme puni, il peut en être de même pour celui qui est arrivé, qui est riche ou très connu, car il doit par obligations ou par contraintes rendre des services, intervenir, souvent bien malgré lui et parfois dans des circonstances fort désagréables pour lui, d’où la punition.
Focu spintu e pignata rotta : feu éteint et marmite brisée. C’est une allusion à la désorganisation d’une famille, ou bien à la misère ; mais aussi et surtout à la désertification de nos villages qui, une fois nos vieux morts, voient les maisons se fermer les unes après les autres, d’où la tristesse et l’angoisse.
A casa a piu sicura è a cascia : la maison la plus sûre est le cercueil. C’est la sagesse même, car il est évident qu’à la mort on laisse tous nos biens, même notre propre maison à laquelle on tenait tant. Par contre, personne ne viendra prendre le cercueil dans lequel on nous a mis, il est à nous pour toujours.
U mortu allarga u vivu : le mort fait place au vivant, ou encore le mort apporte une aisance (financière au vivant). En effet, les deux sens sont valables car il est certain qu’en mourant on fait la place à ceux qui viennent comme l’on fait ceux qui nous ont précédés, et il est non moins certain que si le mort laisse un bon magot, cela amènera de l’aisance dans sa famille et notamment à ses enfants.
Un pocu per omu in colu a mina : chacun son tour dans les bras de grand-mère. Chacun doit avoir sa chance, il faut un tour pour tout le monde et ce ne sont pas toujours les mêmes qui doivent profiter des bienfaits et des honneurs.
So pidoghji rifatti : ce sont des poux refaits. Expression très connue chez nous, et qui s’adresse à ceux qui n’étaient rien au départ (par opposition à ceux qui ont été toujours fortunés) et qui, par chance ou par compromission, sont parvenus à la fortune et aux honneurs. Ils s’en vantent alors ostensiblement et sans aucune retenue.
LES DEFAUTS
C’est sur ce sujet, je crois, que les proverbes sont les plus nombreux et les plus expressifs. Le corse adore faire des parallèles, des comparaisons plus ou moins flatteuses qui provoquent d’ailleurs le rire sinon la risée de toute l’assistance. Nos « flacchini » sont célèbres et savent à la perfection peindre et caricaturer l’orgueil, la présomption, la bêtise ou l’avarice à l’aide d’épithètes fort bien tournées et très significatives ! exemples :
A i zini in’staca : il a des oursins dans la poche. Il n’ose pas mettre ses mains dans ses poches de peur de se piquer, voyez où va l’avarice !
Un’da mancu l’ora : il ne donne même pas l’heure. Il est si avare qu’il ne donne même pas ce qui ne coûte rien.
Mancu u soldu pe fa canta u ceccu : même pas un sou pour faire chanter l’aveugle. L’origine de ce proverbe est très lointaine, elle rappelle le temps de jadis où des chanteurs ambulants (aveugles ou simulateurs) allaient de village en village et qui, en échange d’une chanson, recevaient quelques pièces qu’ils s’empressaient d’aller dépenser au premier café venu.
Mais à l’inverse de l’avarice, on disait :
Un’lascia caghjia u soldu : il ne laisse même pas au sou le temps de cailler. Cela veut dire qu’il dépense son argent encore plus vite que le temps qu’il faut au lait pour cailler et donner la brousse. C’est donc une poche vraiment trouée.
A si piglia ancu l’aghu e u filu : il se prend (le temps) avec l’aiguille et le fil. C’est une allusion pleine d’humour sur les gens lents, sans énergie, à qui il faut un temps fou pour se décider et qui souvent préfèrent que ce soit les autres qui décident ou qui fassent leur travail.
On dit aussi :
Pianu pianu, a mezziornu a casa : Tout doucement, à midi à la maison.
Dormi ganciu, patella veglia : dors crabe, arapète veille. C’est, je crois, un proverbe typiquement sudiste et qui fait allusion à ceux qui préfèrent (par paresse ou par vice) faire faire leur travail par les autres, et par là même aller jouer aux cartes ou se promener au soleil. Pendant ce temps, la femme doit se démener à la maison et faire face à tous les problèmes qui se posent.
Balaninu untu e finu : balanin, huilé et rusé. Proverbe connu, dont l’origine vient du temps où la Balagne était le véritable grenier de la Corse et surtout des envahisseurs. La réputation de ses produits n’était plus à faire, surtout sa fameuse huile d’olive, célèbre dans toute la méditerrannée. Ses habitants donc bien huilés étaient devenus aussi par la force des choses de redoutables marchands capables de tenir tête par leur ruse et leur finesse aux commerçants étrangers et surtout aux génois.
Megliu che nuda, maritu vecchiu : un mari vieux vaut mieux que rien. Il est évident que plutôt que de rester seul, célibataire ou vieille fille, il vaut mieux prendre femme ou mari vieux, et par extension même inefficace. On peut aussi donner un second sens à ce proverbe en disant qu’il vaut mieux avoir peu que rien.
Chi campa sperandu, more caccandu : qui vit d’espoir, meurt en ch¼ Quoiqu’un peu trivial, ce proverbe dit bien ce qu’il veut dire. On ne vit pas uniquement d’espoir.
Manghja Diu e cacca Diavule : elle mange Dieu et c¼ des Diables. C’est une allusion très fine sur les bigotes, les grenouilles de bénitier et donc sur toute personne qui fréquente assidûment l’église et qui ne se prive pas une fois la messe écoutée et la communion prise, de critiquer et de commettre de mauvaises actions. On dit cela aussi à propos de gens qui paraissent honnêtes et dont la réputation est bonne, alors qu’en fait, tout le monde sait très bien qu’ils sont loin d’être ce que l’on croit.
L’agghiu conisciutu chiarasgiu : je l’ai connu cerisier. C’est je pense, un des plus beaux proverbes corses. Son origine est une très belle histoire, et il me faut vous la raconter. C’est une aventure de Minutu Grosso, personnage célèbre en Corse, qui vécut au XVIII siècle à Alesgiani. Un jour, il assistait impassible à une procession des habitants du hameau, qui promenaient une statue de saint Antoine, faite en vieux bois de cerisier. Comme quelqu’un lui faisait le reproche de ne pas participer à cette dévotion générale, en ajoutant que le saint pourrait s’en souvenir le jour de sa mort, il répondit : « je l’ai connu cerisier et comme arbre il ne donnait rien, que voulez-vous qu’il donne comme saint ? » Inutile de faire un commentaire !
In ogni lettu, c’è pucci : dans chaque lit, il y a des puces. Cela veut dire que dans chaque famille il y a des soucis, ou des petits reproches ou des désunions. Il ne faut donc pas se considérer comme les seuls touchés et malheureux.
Baccala per corsica : morue pour la Corse. Qui n’a pas entendu souvent cette expression ! C’est le plus célèbre de tous nos proverbes et le plus utilisé ! Il veut dire que nous sommes tellement peu considérés, que n’importe quoi de ce qui se dit ou qui se fait est bon pour nous. Son origine remonte au XVII siècle, au temps où la République de Gênes, riche et puissante, commerçait avec toute la méditerranée. Elle vendait beaucoup, bien sûr, mais pas toujours de la bonne qualité, et notamment sa morue. Et quand cette dernière n’était plus très fraîche, elle était expédiée en Corse avec l’étiquette « morue pour la Corse », car c’était encore bon pour eux. Cela continue encore pour certaines choses, mais là n’est pas mon propos !
Torna a Vignale ch’è un bellu paese : retourne à Vignale, c’est un beau village ! C’est une allusion faite à ceux qui rabâchent constamment les mêmes choses, qui refont les mêmes erreurs et qui indisposent ainsi les gens. Son origine est bien connue ; il s’agissait d’un marchand ambulant (comme il en existait plusieurs jadis, on les appelait « i dragullini » qui passait de village en village vendre ses objets et notamment à Vignale (village qui se trouve entre Casamozza et Barchetta). Un jour, voulant probablement s’amuser, les jeunes de l’endroit aiguillonnèrent son mulet, qui sous la douleur partit au galop, abîmant toute sa charge. Revenant quelques temps après dans la région avec son maître, le brave mulet qui avait de la mémoire reconnut la route de Vignale et voulut rebrousser chemin, se souvenant de sa précédente mésaventure ! Alors, son maître d’un vigoureux coup de bâton le remis sur le bon chemin en disant : « retour à Vignale, c’est un beau village ! », un bon village surtout où il faisait d’excellentes affaires et où il avait de bons amis.
Le dernier proverbe concernant les défauts est moins connu, mais il est à mon sens celui qui résume tout le bon sens et la sagesse de notre petit pays. Je ne pouvais le passer sous silence d’autant qu’il vient d’une région chère à mon cœur, la Balagne, d’où est issue mon épouse et où je compte de très bons amis, à commencer par Jourdain ici présent. Il faudra donc le retenir, le voici:
A chi face, face a sè : qui fait, le fait aux siens (le bien ou le mal). Il est tiré d’un fait authentique (des traces existent encore) qui s’est produit tout au début de notre siècle, en haute Balagne, non loin du col de San Culumbanu, au-dessus de Palasca dans la commune d’Olmi-Cappella. En ce temps là, nombreux étaient les moines mendiants, beaucoup plus moines que mendiants d’ailleurs, qui parcouraient la Corse entière (on les appelait « i pelligrini ») quémandant la charité ou l’hospitalité pour un soir, en échange de quelques bénédictions plus ou moins authentiques. Un de ceux-ci avait pour habitude de revenir souvent dans la pieve et il s’arrêtait toujours chez un berger qui vivait chichement avec sa femme, son petit troupeau de chèvres, quelques poules et deux lapins. Il récoltait un morceau de pain, du fromage, puis après avoir échangé quelques mots, reprenait sa route jusqu’à la prochaine visite. Or, ces visites fréquentes excédaient au plus haut point la femme du berger et, un jour, elle se jura qu’à la prochaine visite du moine, elle lui remettrait un pain empoisonné. C’est ce qu’elle fit quelque temps plus tard, malgré les conseils de son mari. Le mendiant, ne se doutant de rien, prit le pain, remercia et reprit sa route. Chemin faisant, il rencontra le fils du berger qui rentrait de permission. Il était exténué et avait grand faim. Le moine lui proposa un morceau de pain que sa mère lui avait donné et ce dernier le mangea de bon appétit. Mais, quelques minutes plus tard, il fut pris de violents malaises et mourut dans d’atroces souffrances. Le mendiant comprit tout de suite ce qui s’était passé ! Il prit le malheureux jeune homme sur son dos et le ramena à sa mère, et le déposant aux pieds de cette femme complètement anéantie, il dit : « qui fait, le fait aux siens ».
Je voudrais finir, comme j’ai commencé, par deux proverbes. Le premier, pourrait sortir de la bouche d’une mère, au départ de son fils contraint de s’expatrier pour gagner sa vie :
Vai dirittu, o figliolu e Diu t’aghjuterra ! : va droit, mon fils et Dieu t’aidera.
Quant au second, il pourrait s’adresser à nous tous et à tous nos compatriotes dispersés de par le monde :
A sapienza si porta in sè, anchu a l’orlo d’u mondu ! : la sagesse (et le savoir) se porte en soi, même au bout du monde.
En effet, où que l’on soit, quoique l’on fasse, il faut toujours avoir une attitude digne de nos anciens, et autant que faire se peut, aimer et faire aimer notre très chère île natale.
Mathieu LUCIANI
Février 1986