Conférence sur « Le théâtre Saint Gabriel » par Thierry PATTOU
- Par jeanpierrepoli
- 1 février, 2018
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Ma vie de collégien ajaccien dans les années 70 regorge d’anecdotes savoureuses, ce fut une période heureuse, une vie de quartier au sens où ce terme n’avait pas encore la connotation qu’on lui connait aujourd’hui, une vie avec les copains devenus pour la plupart d’indéfectibles amis comme on sait en avoir chez nous.
Lors de l’une de ces années scolaires insouciantes, nos professeurs de français, dans l’espoir un peu fou de nous ouvrir aux choses de la culture, avaient organisé, une représentation théâtrale avec une troupe de comédiens professionnels dans la salle du cinéma l’Empire sur le Cours Napoléon. Le lieu n’était vraiment pas fait pour cela et les adolescents turbulents que nous étions n’avaient pour la quasi totalité d’entre eux, dont moi, qu’une idée très approximative de ce qu’était une pièce de théâtre et de ce que l’exercice exigeait de la part du public, de silence, de calme et d’écoute. Ce fut un après midi apocalyptique, dont les pauvres comédiens doivent encore se souvenir, un désastre pour les organisateurs et davantage une franche partie de rigolade qu’un moment de culture pour nous.
Il n’y avait à cette époque là, pas de salle de spectacle digne de ce nom et j’ignorais jusqu’à la lecture, il y a quelques semaines, d’un article signé du comédien et metteur en scène François Orsoni, dans le numéro 59 de l’excellente revue « Parole de Corse » que cela n’avait pas toujours été le cas !
J’ai découvert en lisant François Orsoni que la culture avait pourtant connu des heures de gloire à Ajaccio. La ville faisait même référence dans le monde théâtral et lyrique européen, un siècle et demi plus tôt .
Tout commence en effet en 1808, Ajaccio ne compte alors que 9000 habitants. C’est encore une petite ville d’un ancien temps et grâce à quelques hommes, décideurs, visionnaires et entrepreneurs, elle va s’ouvrir au modernisme et à la culture.
Au premier rang d’entre eux, le préfet de Corse, Gabriel Comte de Lantivy, qui, à l’instar de ce que fut le Baron Haussman à Paris, va bouleverser l’urbanisme de la cité. Sous son impulsion, les murs du vieil Ajaccio sont démantelés et le matériau ainsi disponible est affecté à la construction de nouveaux ensembles architecturaux notamment la préfecture, la caserne Abbatucci et le Palais de justice. De grandes avenues tracées au cordeau voient le jour dont le Cours Sainte Lucie, ancien dénomination du Cours Napoléon, C’est sous son impulsion originelle que la ville pourra enfin devenir digne de son statut de capitale Corse.
Le 9 juillet 1826, le conseil municipal Ajaccien autorise le maire Constantin Stéphanopoli à acheter au beau milieu du Cours Sainte Lucie, un terrain à la veuve d’Etienne-Po, née Madeleine Sabatini. Après la pose de la première pierre, le 23 septembre 1827, trois années seront nécessaires à l’édification du théâtre dont les plans sont réalisés par Jouvin, ingénieur des Ponts et Chaussées. L’édifice d’une capacité d’accueil de 800 personnes, sera baptisé Théatre St Gabriel en l’honneur du préfet Gabriel Comte de Lantivy, l’instigateur de ce renouveau L’inauguration a lieu le premier Février 1830 dans l’enthousiasme général en présence du maire, du préfet et de tout un parterre d’officiels et l’on y joue ce soir là, pour l’événement, 2 vaudevilles, « le bourru bienfaisant » et « le somnambule ». Commence alors pour Le Saint Gabriel une période de faste où sont présentés les opéras les plus prestigieux signés Bellini, Rossini, Donizetti, Verdi, Coppola ou Mercadante pour ne citer que les plus grands , mais aussi des opérettes comme «Les Cloches de Corneville», «Les Mousquetaires au Couvent», «Les Saltimbanques » etc….
Têtes couronnées et événements marquants vont aussi contribuer au renom et à la légende du théâtre St Gabriel. Le 5 novembre 1836, une représentation est donnée en l’honneur du Duc d’Orléans, fils de Louis Philippe. En Mars 1854, la troupe de la Scala de Milan réserve à la ville la primeur de sa première apparition en France. Le 2 Février 1862 est donné «Ivanhoé »,opéra composé par un jeune Ajaccien, Thomas Sari, qui a transcrit la musique de l’Ajaccienne dont l’auteur est inconnu. Malgré des hauts et des bas en partie liées à une exploitation déficitaire, le point d’orgue de ce XIX° siècle restera incontestablement le 29 Août 1862 avec le magistral opéra de Verdi «Le Trouvere» joué en l’honneur de l’Impératrice Eugenie et du Prince Impérial en visite dans la ville berceau des Bonaparte.
Ces fastes régalent un public d’Ajacciens fins connaisseurs des choses de l’opéra.
« Lorsque l’on à été applaudi à Ajaccio on peut jouer sans crainte dans le monde entier. Cette phrase significative d’un artiste témoigne du haut degré de compétence et de passion du public local.
Le 7 novembre 1896, s’ouvre avec la nomination de Francois Simongiovanni au poste de directeur du Théâtre Saint Gabriel, une période de près de 30 ans qui représente l’âge d’or de la culture à Ajaccio.
François Simongiovanni était Président du comité central Bonapartiste et amoureux de ce que l’on appelait alors le Bel Canto . Il était propriétaire de la scierie de St Joseph et d’une entreprise de peinture dont il réservait une grande partie des bénéfices au mécénat..
Humaniste et philanthrope, proche de son peuple, désirant faciliter la diffusion de son art auprès des plus défavorisés, il avait instauré la gratuite de l’accès au « poulailler» du dernier étage !
Esthète et homme de goût, il s’entourait des meilleurs peintres et décorateurs . Précurseur, c’est lui qui fit découvrir à la Corse ébahie le cinématographe des frères Lumière en organisant en 1897 les premières séances de projection dans le péristyle du théâtre et il fut aussi celui qui permit la première électrification d’un bâtiment public Corse grâce à un ingénieux système de dynamo entraînée par une machine à vapeur.
Il passait une grande partie de son temps entre Vienne, Milan et tout ce que l’Europe compte de places artistiques pour visionner des spectacles, grâce à lui , les voix les plus prestigieuses retentiront dans le giron Ajaccien : César Vezzani, Gaston Micheletti, Fagianelli ou le grand Georges Thill. Interprètes et ténors débarquent des opéras de Paris, Toulouse, Vienne, du San Carlo de Naples ou de la Scala de Milan. Ajaccio est alors un petit Nice.
Les acteurs et chanteurs étaient logés chez l’habitant et les figurants et les choristes se recrutaient sur place. Sous son impulsion, une école Ajaccienne du chant se mit en place peu à peu dont les Tino Rossi, Marc Paoli et consorts seront les héritiers légitimes.
A l’heure ou le développement du cinéma commençait à devenir source de profit pour les premiers exploitants de salles, l’aura et la notoriété de Simongiovanni et de son théâtre avaient probablement dû créer des jalousies et des haines et dans la nuit du 27 au 28 octobre 1927, des hommes pénétrèrent par effraction dans la théâtre Saint Gabriel et y mirent le feu au moyens de bidons de pétrole qui seront retrouvés dans les décombres.
L’affaire du théâtre St Gabriel fit couler beaucoup d’encre mais aussi curieusement que cela puisse paraitre, aucune enquête ne fut jamais ouverte, les incendiaires ne furent jamais identifiés ni retrouvés puisque jamais recherchés, François Simongiovanni mourut de la mort de son cher théâtre qui ne fut jamais reconstruit, ni sur place, ni même ailleurs.
La vie culturelle et sociale Ajaccienne ne s’est jamais remise de cet attentat. Le Cours Sainte Lucie est devenu le Cours Napoléon, et l’ancien temple de la culture que fut pendant presque un siècle, le théâtre St Gabriel est devenu la Poste.
Le concept de maison de la culture itinérante abritée, pour Ajaccio, dans l’ancien cinéma Kalliste aujourd’hui fermé et de sinistre mémoire, ne fut qu’une succession d’échecs et l’espace Diamant est davantage conçu pour les conférences.
François Simongiovanni de là où il est, doit être heureux que, dans la rue du quartier de la Cité des Cannes qui porte son nom, ait été créée une médiathèque mais bien triste que sa chère ville d’Ajaccio soit, en 2017 encore, une ville sans théâtre.
Pour l’Accademia Corsa di Nizza
Thierry PATTOU
janvier 2018